LES INFECTIONS SPÉCIFIQUES DE LA MUQUEUSE BUCCALE
1. INTRODUCTION
Les infections cutanéomuqueuses de la région cervico-faciale sont fréquentes et de gravité variable. On peut les classer en fonction du type de germe en cause, mais il y a souvent des chevauchements et il est rare qu’un aspect anatomoclinique soit strictement pathognomonique d’un germe.
On appelle infection spécifique une infection déterminée par un seul et même germe et qui présente des manifestations cliniques (buccales ou autres) spécifiques à l’agent causal. Il s’agit notamment de la syphilis et de la tuberculose.
Germes : Micro-organismes (bactérie, champignon, virus, parasite) vivants, sources de maladies infectieuses.
2. LA SYPHILIS
2.1 Définition
Maladie contagieuse, infectieuse, acquise ou congénitale. Elle peut présenter, à tous les stades de son évolution, des manifestations buccales révélatrices. La syphilis est une maladie à déclaration obligatoire.
2.2 Étiopathogénie
- Agent responsable : Treponema pallidum (Tréponème pâle).
- Voies de contamination :
- Voie génitale : 97 % des cas (par contact sexuel).
- Voie congénitale : à travers la membrane placentaire.
- Transfusion sanguine.
- Période d’incubation : Cliniquement et biologiquement muette, environ 3 semaines (de 10 jours à 3 mois).
2.3 Signes Cliniques
La syphilis peut être acquise (le plus fréquent) ou congénitale (rare). La syphilis acquise se subdivise en : primaire, secondaire, et tertiaire.
2.3.1 Syphilis Primaire
Caractérisée par le chancre et l’adénopathie satellite.
2.3.1.1 Le Chancre
- Lésion caractéristique apparaissant sur le site d’inoculation, généralement 3 semaines après l’infection.
- Ulcération indolore, bien circonscrite, arrondie, de 0,5 à 1 cm de diamètre, à fond lisse et plat, indurée (induration limitée à l’ulcération).
- Localisation buccale : Représente 8 % des chancres extragénitaux. Peut siéger au niveau :
- Labial
- Palatin
- Lingual
- Amygdalien
- Gingival (région incisivo-canine, côté vestibulaire, sertissant le collet).
- Très contagieux, guérit en 6 semaines sans laisser de cicatrice.
2.3.1.2 L’Adénopathie Satellite
- Constante, apparaît environ 1 semaine après le chancre dans le territoire correspondant.
- Plus ou moins volumineuse (taille d’une noix), accompagnée de 2 ou 3 ganglions plus petits.
- Consistance dure, mobile, sans périadénite. Peut persister 1 à 2 ans (réservoir de tréponèmes).
2.3.2 Syphilis Secondaire
- Apparaît vers le 60e jour après le contact infectant. Très contagieuse, elle reflète une atteinte diffuse de l’organisme par le tréponème.
- Deux efflorescences étalées sur 2,5 à 4 ans.
- Lésions buccales (très contagieuses) :
- Roséoles syphilitiques : macules rondes, rose pâle, 5 à 10 mm de diamètre.
- Syphilides papuleuses ou pigmentaires.
- Lèvres : gommes (tuméfaction limitée, consistance gommeuse).
- Palais : gommes ulcérées pouvant entraîner des communications bucco-nasales.
- Langue : glossite gommeuse scléreuse ou ulcéro-gommeuse.
- Autres : condylomes, alopécie, atteinte des ongles.
- Accompagnée de micro-polyadénopathies.
- Disparaît spontanément en 1 à 2 ans.
2.3.3 Syphilis Tertiaire
- Phase latente : Cliniquement asymptomatique et non contagieuse.
- Phase tertiaire : Après 2 à 10 ans, dans 20 à 30 % des cas. Caractérisée par :
- Atteintes viscérales, cardiovasculaires, neurologiques.
- Lésions osseuses ou cutanéomuqueuses (gommes).
2.3.4 Syphilis Congénitale
Transmise au fœtus par voie transplacentaire à partir du 4e mois de grossesse, pouvant entraîner avortement ou mortalité.
2.3.4.1 Syphilis Congénitale Précoce
- Dès la naissance : lésions viscérales, manifestations cutanéo-muqueuses multiples (fissures péri-buccales, syphilides disséminées).
2.3.4.2 Syphilis Congénitale Tardive
- Malformations céphaliques : bosses frontales et nasales.
- Lésions buccales fréquentes :
- Palais ogival et profond.
- Mandibules courtes.
- Dents d’Hutchinson : incisives centrales supérieures petites, avec échancrure semi-lunaire au bord libre.
- Molaires de Moon (muriformes).
2.4 Examens Paracliniques
2.4.1 Examen Bactériologique
- Grattage de la lésion ou ponction ganglionnaire, suivi d’un examen au microscope.
2.4.2 Examen Sérologique
- Confirme le diagnostic, surveille le traitement, détecte les rechutes.
- Sérologies non spécifiques :
- BW (Bordet-Wasserman) : positive au 25e jour.
- VDRL (Venereal Disease Research Laboratory) : positive au 35e jour.
- Tests spécifiques (anti-gène tréponémique) :
- FTA-ABS (Fluorescent Treponema Antibody) : positif 8 jours après le chancre.
- TPHA (Treponema Passive Hemagglutination) : positif 10 à 20 jours après le chancre.
- Test de Nelson (TPI, Treponema Pallidum Immobilisation) : le plus spécifique, positif entre 45 et 60 jours.
2.5 Conduite à Tenir
- Confirmer le diagnostic.
- Traiter dès la réponse du laboratoire.
- Rechercher contaminant et contaminés.
- Déclarer le malade à l’inspection de santé.
- Adresser le malade aux services spécialisés (dermatologie ou pathologies infectieuses).
2.6 Traitement
- Syphilis récente : Extencilline, injection unique intramusculaire de 2,4 millions d’unités.
- Allergie à la pénicilline :
- Oxytétracycline : 250 mg IM, 2 fois/jour, pendant 15 jours.
- Doxycycline : 200 mg/jour per os, pendant 15 jours.
3. LA TUBERCULOSE
La tuberculose reste l’une des maladies infectieuses les plus meurtrières au monde, en seconde position après le VIH/SIDA.
- OMS (2012) : 8,6 millions de personnes contaminées.
- Algérie (2010) : 8 643 cas (OMS).
- Prévalence en Algérie : 37 à 40 cas pour 100 000 habitants (Ministre de la Santé, 2013).
- Nouveaux cas et rechutes (2013) : 20 841 cas.
- Maladie infectieuse, contagieuse, à déclaration obligatoire.
3.1 Définition
Infection bactérienne chronique provoquée par une bactérie du complexe Mycobacterium tuberculosis.
- Tuberculose primaire d’inoculation : Rare.
- Localisation secondaire : La bouche peut être atteinte par le bacille de Koch (BK) expulsé des poumons et greffé sur une muqueuse blessée.
3.2 Étiopathogénie
- Agent responsable : Bacille de Koch (BK).
- Voies d’entrée :
- Respiratoire (le plus souvent).
- Digestive (plus rare).
- Progression :
- Voies lymphatiques (ganglions).
- Voies sanguines (plus tardivement).
3.3 La Clinique
3.3.1 Primo-Infection Tuberculeuse
Contamination par le BK. Période d’incubation : 8 jours à 2 mois. Touche enfants, adolescents, et adultes jeunes.
La primo-infection buccale est la forme extrapulmonaire la plus fréquente.
3.3.1.1 Le Chancre
- Ulcération spontanément douloureuse.
- Localisation :
- Gingival inférieur (sillon gingivojugal postérieur, capuchon muqueux d’une dent en éruption).
- Plus rarement : gingival supérieur, pharynx, amygdales.
- Ulcération non indurée, bords saignants et décollés, fond granuleux, diamètre de 1 à 2 cm.
3.3.1.2 Adénopathie Satellite
- Intumescence de 2 ou 3 ganglions voisins, homolatéraux (souvent sous-mandibulaires).
- Indolore, mobile, évolue de façon froide, se ramollit, se fistulise, laisse une cicatrice chéloïdienne, sans périadénite.
- Parfois seul signe de la primo-infection.
3.3.2 Tuberculose Chronique Évolutive
- Localisations possibles :
- Pulmonaire (la plus fréquente).
- Ganglionnaire, cutanée, articulaire.
- Buccale : Ulcère extrêmement douloureux (dos de la langue, lèvres, muqueuse jugale, plancher).
- Osseuse : Rare, atteint mandibule, maxillaires, os zygomatiques (lacune décalcifiée à bords flous).
Diagnostic différentiel :
- Gomme et abcès froid : kystes dermoïdes, fibromes, lipomes, actinomycoses, gommes syphilitiques.
- Lupus buccal : syphilis tertiaire.
- Ulcération : syphilis, épithélioma.
- Tuberculose secondaire des glandes salivaires : parotidite banale, syphilis glandulaire, actinomycoses, lithiase.
3.4 Examens Paracliniques
- Diagnostic positif : Mise en évidence du BK dans expectorations ou produits de tubage gastrique.
- Techniques :
- Coloration Ziehl-Neelsen.
- Coloration à l’auramine.
- Culture sur milieux spéciaux (Löwenstein-Jensen).
- Radiographies : Thoraciques ou cervicales (calcifications).
- Note : La biopsie est risquée (dissémination).
3.5 Le Traitement
3.5.1 Traitement Prophylactique
- Stérilisation du lait.
- Lutte contre la tuberculose bovine et vaccination BCG.
- Isolement des sujets bacillaires.
3.5.2 Traitement Curatif
- Services spécialisés : DAT (Division Anti-Tuberculose).
- Antibiochimiothérapie :
- Isoniazide + Rifampicine + Ethambutol (3 mois).
- Isoniazide + Rifampicine (6 mois).
- Durée totale : 9 mois.
- Forme disséminée : Ajout de Pyrazinamide.
- Chirurgie : Adénectomie, exérèse des gommes, séquestrectomie, parotidectomie, curetage des foyers infectieux.
- Contrôle régulier du malade.
4. L’ACTINOMYCOSE
4.1 Étiologie
Affection chronique causée par Actinomyces israelii, une bactérie filamenteuse.
- Présente à l’état saprophyte chez plus de 30 % des sujets normaux (cryptes amygdaliennes, caries, poches parodontales).
- Pénètre par voie buccale lors de la mastication.
4.2 Pathogénie
- Pénétration :
- Traumatisme (fracture ouverte, morsure).
- Intervention chirurgicale (amygdalectomie, extraction dentaire).
- Lésion locale (poche parodontale, infection dentaire/amygdalienne).
- Facteurs favorisants : Corticothérapie, immunosuppresseurs.
- Co-infection : Streptocoques (α et β hémolytiques), staphylocoques (blanc et doré), nécessaires au développement.
4.3 La Clinique
- Symptômes pathognomoniques :
- Douleurs vives.
- Trismus précoce.
- Tuméfaction de consistance intermédiaire, virant au violet, avec mamelons.
- Fistules multiples : liquide sérosanguinolant, granuleux, contenant des grains jaunes de Trélat.
4.4 Le Traitement
- Antibiotiques :
- Pénicilline G IV : 2 à 4 MU/j (jusqu’à 20 MU dans les cas graves), 3 à 6 mois.
- Alternatives : Ampicilline, Benzylpénicilline, Tétracyclines (5 g/j), Érythromycine, Lincomycine, Clindamycine, Métronidazole.
- Durée minimale : 6 semaines.
- Traitement initial : Porte d’entrée.
- Chirurgie : Incision/drainage d’abcès, exérèse de tissus nécrosés, curetage des foyers d’ostéite.
5. CONCLUSION
Devant la gravité de ces infections pour le patient et le risque de transmission/contagion, la prise en charge doit se faire avec un maximum de précautions pour minimiser la transmission :
- De patient à patient.
- Du praticien ou de son personnel au patient.
LES INFECTIONS SPÉCIFIQUES DE LA MUQUEUSE BUCCALE
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LES INFECTIONS SPÉCIFIQUES DE LA MUQUEUSE BUCCALE

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