Prise en charge de patients sous thérapeutiques ciblées

Prise en charge de patients sous thérapeutiques ciblées

      Prise en charge de patients sous thérapeutiques ciblées

Prise en charge de patients sous thérapeutiques ciblées

Introduction

Les thérapies ciblées ont profondément modifié la prise en charge de certaines pathologies ces dernières années. Ce sont des traitements utilisant des produits biologiques, ce qui les oppose aux molécules de chimiothérapie de synthèse. En effet, ces thérapeutiques ne sont pas dénuées d’effets indésirables, et le médecin dentiste doit donc en connaître les répercussions bucco-dentaires potentielles.

Définition

Les “thérapies ciblées” sont des traitements dirigés contre des cibles moléculaires (récepteurs, gènes ou protéines). Elles ont pour avantage d’être moins toxiques en épargnant les cellules saines et permettent d’individualiser le traitement selon la pathologie et la biologie moléculaire du patient.

Les thérapies ciblées peuvent agir à différents niveaux de la cellule :

  • Sur les facteurs de croissance (qui sont des messagers déclenchant la transmission d’informations au sein d’une cellule).
  • Sur leurs récepteurs (qui permettent le transfert de l’information à l’intérieur de la cellule).
  • Sur des éléments à l’intérieur des cellules.
Prise en charge de patients sous thérapeutiques ciblées
Illustration des différents niveaux de blocage des thérapies ciblées

Types de molécules

Selon la nature de la molécule utilisée, on distingue :

  • Les anticorps monoclonaux : ils interagissent avec les ligands de récepteurs membranaires ou avec la partie extracellulaire du récepteur en empêchant la fixation de la molécule. Ils portent le suffixe « mab » et sont administrés par voie intraveineuse.
  • Les inhibiteurs tyrosine kinase (ITK) : ce sont de petites molécules pénétrant dans la cellule où elles inhibent les voies de signalisation en agissant sur la portion intracellulaire des récepteurs. Ils portent le suffixe « nib » et sont administrés per os.

Classification selon le mode d’action

Les molécules de thérapies ciblées peuvent également être classées selon leur mode d’action. On distingue :

  • Les anti-angiogéniques.
  • Les inhibiteurs de HER (Herceptin).
  • Les inhibiteurs de KIT, un récepteur membranaire.
  • Les inhibiteurs de mTOR (mechanistic target of rapamycin).
  • Les cytokines.

Indications thérapeutiques

Utilisation en rhumatologie

Classe thérapeutiqueNom génériqueNom commercialMode et fréquence d’utilisationIndication
AntiTNFInfliximabRemicadeDe 3 mg/kg à 10 mg/kg par IV toutes les 6 à 8 semainesPolyarthrite rhumatoïde, spondylarthrite ankylosante, rhumatisme psoriasique, maladie inflammatoire de l’intestin, psoriasis
AntiTNFÉtanerceptEnbrel50 mg par voie sous-cutanée toutes les semainesPolyarthrite rhumatoïde, spondylarthrite ankylosante, rhumatisme psoriasique, arthrite juvénile idiopathique, psoriasis
AntiCD20RituximabRituxan1 g par voie intraveineuse, 2 doses et au besoin par la suitePolyarthrite rhumatoïde, lymphome non hodgkinien, leucémie lymphoïde chronique, granulomatose de Wegener, polyangéite microscopique

Indication en médecine interne

  • Lupus érythémateux systémique.
  • Sarcoïdose : efficacité des anti-TNF dans les formes réfractaires et sévères.
  • Les vascularites nécrosantes primitives ou secondaires.
  • Maladie de Behçet en première intention, surtout en cas d’atteinte oculaire, neurologique ou digestive.

Indication en neurologie

L’utilisation des Natalizumab, interféron-b 1a et 1b dans la sclérose en plaques.

Manifestations buccales des thérapies ciblées

Mucites / Ulcérations aphtoïdes

Un certain nombre de thérapies ciblées peuvent induire une inflammation de la muqueuse buccale. Cependant, les lésions observées diffèrent très clairement de la mucite chimio-induite : elles apparaissent beaucoup plus limitées en taille et prennent volontiers un aspect ulcéré aphtoïde. L’impact fonctionnel peut être parfois significatif et nécessiter une concession voire un arrêt temporaire du traitement anticancéreux.

La prise en charge de ces lésions repose sur des mesures symptomatiques, qui ne sont pas encore aujourd’hui strictement codifiées. Cela doit inclure au minimum :

  • Une remise en état bucco-dentaire pré-thérapeutique.
  • Une éducation stricte à l’hygiène bucco-dentaire.
  • La réalisation de bains de bouche peu agressifs plusieurs fois par jour (bicarbonate de sodium).

Réactions lichénoïdes

Elles sont surtout associées à l’imatinib, BCR-ABL (gène de Philadelphie ou chromosome Ph1) et le c-Kit. Cliniquement, ces réactions lichénoïdes ne diffèrent pas de celles observées dans le lichen plan, avec association de lésions réticulées, d’atrophie et d’ulcérations inflammatoires. Les muqueuses jugales et la langue sont principalement touchées.

La prise en charge thérapeutique repose sur la corticothérapie locale, et le traitement ciblé peut être maintenu.

Hyperkératoses secondaires

Le développement progressif de lésions endobuccales hyperkératosiques ne concerne que les inhibiteurs de sérine thréonine kinase ciblant BRAF (B-raf proto-oncogène). Ces lésions se traduisent par une hyperkératose homogène qui prédomine sur la linea alba, les bords latéraux de la langue, le palais dur et la gencive marginale.

Langues géographiques

Les molécules à activité antiangiogénique, c’est-à-dire ciblant le VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor) ou ses récepteurs, peuvent favoriser le développement d’une glossite migratoire bénigne ou langue géographique. La présentation clinique est tout à fait comparable à celle de la langue géographique idiopathique, c’est-à-dire avec des aires de dépapillation cernées par une bordure serpigineuse surélevée.

La prise en charge repose simplement sur la réassurance du patient quant à la stricte bénignité de ces lésions. Le traitement anticancéreux peut être maintenu.

Dysgueusie

Une altération du goût peut également être associée à la prise de plusieurs thérapies ciblées. Elle apparaît particulièrement fréquente avec le sunitinib, mais également rapportée avec les anti-EGFR (Epidermal Growth Factor).

Ostéo-chimionécrose

Les thérapies ciblées anti-angiogéniques et anti-résorptives peuvent induire une ostéonécrose des mâchoires.

Prise en charge

Prévention avant l’introduction des thérapies

  • Un examen clinique rigoureux complété par un panoramique dentaire constitue l’examen initial minimal.
  • Éviction des foyers infectieux actifs ou potentiels, consistant à l’extraction des dents présentant des lésions parodontales, endodontiques ou des caries profondes.
  • Si des soins dentaires invasifs, tels que des avulsions, sont effectués au préalable, un délai de cicatrisation de 15 jours au minimum doit être respecté avant de mettre en place le traitement par thérapie ciblée.
  • Si le patient doit bénéficier d’un traitement anti-angiogénique par Bevacizumab ou Sunitinib, il doit être informé du risque éventuel de survenue d’une ostéochimionécrose des maxillaires.
  • Traitement des pathologies parodontales.
  • L’étanchéité des soins dentaires existants.
  • Reprise des soins présentant des angles vifs ou tranchants pouvant irriter les muqueuses.
  • La motivation à l’hygiène bucco-dentaire en insistant sur les méthodes de brossage.
  • Hygiène de vie et conseils diététiques par la suppression du tabagisme, et éviter l’alimentation épicée, trop chaude ou trop froide.

Prise en charge pendant le traitement par thérapie ciblée

Précautions lors de soins non chirurgicaux

Pour ce type de soins, il n’existe aucune contre-indication, et il n’est pas nécessaire de moduler le traitement par thérapie ciblée. Selon l’AFSSAPS, une antibioprophylaxie est recommandée lors d’actes invasifs.

Précautions lors de soins chirurgicaux

Si des soins chirurgicaux sont envisagés chez des patients sous thérapie ciblée, une attention particulière doit être portée sur la survenue potentielle d’hémorragies et d’infections post-opératoires, notamment d’ostéochimionécrose chez les patients sous anti-angiogéniques tels que le Bevacizumab (Avastin) ou le Sunitinib (Sutent). Il faut donc en informer le patient et être vigilant dans la conduite à tenir.

Un arrêt de la thérapie ciblée est recommandé avant d’entreprendre tout geste chirurgical. Les modalités de suspension du traitement sont différentes selon la molécule :

  • Anticorps monoclonaux : arrêt 2 à 3 semaines avant l’intervention.
  • ITK : arrêt 5 à 7 jours avant l’intervention.

Le traitement reprend une fois la cicatrisation muqueuse obtenue et avec l’accord de l’oncologue.

Protocole opératoire

  • Sous couverture antibiotique : débutée 48h avant l’intervention et poursuivie jusqu’à cicatrisation (environ 15 jours).
  • Désinfection minutieuse du champ opératoire, irrigation à la chlorhexidine.
  • Anesthésie locale ou loco-régionale : éviter les anesthésies intra-ligamentaires.
  • Chirurgie atraumatique.
  • Régularisation des procès alvéolaires.
  • Moyens hémostatiques locaux (matériau résorbable intra-alvéolaire).
  • Sutures étanches.
  • Utilisation éventuelle d’une colle biologique.
  • Conseils post-opératoires.
  • Contrôle de cicatrisation.

Cas particulier : Anti-TNF

En pratique, pour les patients sous anti-TNF, considérés comme immunodéprimés, on proposera :

  • Pour la réalisation d’actes non invasifs (ex. : actes de prévention non sanglants, soins conservateurs, soins prothétiques non sanglants, dépose post-opératoire de sutures, pose de prothèses amovibles, pose ou ajustement d’appareils orthodontiques, radiographies dentaires…), l’antibiothérapie prophylactique n’est pas indiquée, et l’arrêt de l’anti-TNF n’est pas justifié.
  • Pour la réalisation d’actes invasifs (susceptibles d’induire une infection locale, à distance ou générale), l’antibiothérapie prophylactique est habituellement recommandée. L’arrêt de l’anti-TNF doit être effectué dans les mêmes conditions que celles recommandées dans la chirurgie à faible risque infectieux.
  • Pour le détartrage, une antibiothérapie prophylactique est proposée sans arrêt de l’anti-TNF.

Durée d’arrêt des anti-TNF alpha avant chirurgie

  • Étanercept : au moins 2 semaines.
  • Infliximab : au moins 4 semaines.
  • Adalimumab : au moins 4 semaines.

Cas particulier : Rituximab

Il est recommandé une hygiène bucco-dentaire et des soins réguliers. En cas d’état bucco-dentaire défectueux, des soins appropriés devront être effectués avant de débuter un traitement par rituximab.

  • Soins usuels (caries, détartrage) : une antibioprophylaxie peut être proposée.
  • Soins à risque infectieux (extraction, granulome apical, abcès…) : non-réalisation de la 2ème perfusion de rituximab si le soin doit intervenir entre 2 perfusions. Mais le plus souvent, le médicament ne pourra être arrêté car le cycle de deux perfusions aura été réalisé avec des conséquences sur l’immunité pendant au moins 6 mois. Il est alors recommandé de proposer une antibioprophylaxie.
  • Implants : pas de précaution particulière à prendre tout en restant vigilant sur la survenue potentielle d’infections.

Conclusion

Le médecin dentiste a un rôle primordial dans la prévention et/ou le traitement des séquelles bucco-dentaires secondaires aux thérapeutiques ciblées. L’importance de la prise en charge du patient par son médecin dentiste avant, pendant et après son traitement carcinologique est cruciale. L’objectif principal est d’éviter l’apparition des complications liées à ces traitements et ainsi d’améliorer la qualité de vie des patients.

Références bibliographiques

  • Vincent Sibaud, Emmanuelle Vigarios. Toxicités orales des thérapies ciblées anticancéreuses. Med Buccale Chir Buccale 2015;21:149-155.
  • Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS). Prescription des antibiotiques en pratique bucco-dentaire. Juillet 2011.
  • Recommandations de la Société Française de Chirurgie Orale (SFCO). Prise en charge des foyers infectieux bucco-dentaires. 2012.
  • Pauline Tamburini. Prescriptions et précautions en odontologie chez les patients sous traitement anti-cancéreux. Thèse : Chir-Dent : Nancy : 2015.
  • Petit Emilie. Les thérapies ciblées dans le traitement des cancers : effets indésirables bucco-dentaires et prise en charge en odontologie. Thèse : 3ème cycle sci.odontol. : Strasbourg : 2016; N°48.
  • Cynthia Pierre. Les règles de prescription des antibiotiques en chirurgie orale. Th. : Chir.-Dent. : Nancy 2018.
  • Club Rhumatismes et inflammations. Fiches pratiques. http://www.cri-net.com (consulté le 04/02/2023).
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