Prise en charge de la femme enceinte en odontostomatologie

Prise en charge de la femme enceinte en odontostomatologie

Prise en charge de la femme enceinte en odontostomatologie

Introduction

Nombreuses sont les questions que pourrait se poser le médecin dentiste en voyant une femme enceinte ou en âge de procréer

Comment dois-je me comporter pour assurer sa prise en charge ? Puis-je lui prendre une radiographie ? Quel anesthésique utiliser ? Quel médicament prescrire? Quel acte réaliser et quel autre reporter après l’accouchement ?

Il utile de mettre le point sur:

Les particularités physiologiques durant chacun des trois trimestres de gestation d’une part

Les possibilités et les limites thérapeutiques d’autre part, afin d’éliminer toute ambiguïté sur la prise en charge de la femme enceinte.

La grossesse est un état physiologique caractérisé par un grand bouleversement endocrinien.

Ce jeu d’hormones assez complexe entraîne des modifications vasculaires au niveau de la muqueuse buccale, du ligament alvéolo-dentaire et de l’organe dentaire.

  1. LES MODIFICATIONS HORMONALES

Les modifications physiologiques qui surviennent chez la femme enceinte résultent essentiellement de l’activité endocrinienne du placenta qui sécrète des oestrogènes et des progestérones.

La sécrétion de ces hormones augmente durant la grossesse jusqu’à 10 fois par rapport à la concentration normale en ce qui concerne les progestérones et 30 fois la concentration normale pour l’oestradiol.

  1. LES MODIFICATIONS IMMUNOLOGIQUES:

*certaines hormones associées à la grossesse, telle la progestérone, ont des propriétés immunosuppressives.

*Aussi, le chimiotactisme des polymorphonucléaires, la phagocytose et la réponse des anticorps sont affectés en présence d’un niveau élevé des hormones

*La femme enceinte présente un risque plus important aux infections

  1. LES MODIFICATIONS DE L’ENVIRONNEMENT BUCCAL

*La salive

Nous assistons au cours de la grossesse à des modifications qualitatives et quantitatives de la salive. Le débit salivaire augmente surtout au cours des trois premiers mois. Il n’existe pas, à l’heure actuelle, d’explication à ce phénomène. Cette hypersialorhée diminue généralement au fil des mois. Le pH salivaire évolue dans le sens d’une légère acidité ; il passe de 6.7 à 6.2. Cette baisse du pH entraîne une diminution du pouvoir tampon. Par ailleurs, nous assistons à un passage d’hormones gravidiques dans la salive. Des études ont montré que l’œstradiol et la progestérone peuvent substituer certains facteurs de croissance bactérienne, ce qui augmente le nombre de micro- organismes et modifie la composition de la plaque bactérienne

  1. PATHOLOGIES BUCCALES EN RAPPORT AVEC LA GROSSESSE :
    1. Pathologie muqueuse : Action hormonale sur la muqueuse buccale est démontrée expérimentalement et cliniquement.
  1. La gingivite gravidique : C’est une réponse inflammatoire fréquemment observée lors des grossesses, exacerbée par la présence de plaque bactérienne, aggravée par l’augmentation des taux d’œstrogènes et de progestérones.

Prise en charge:

*L’obtention d’un contrôle de plaque approprié, associant le contrôle mécanique personnel (hygiène bucco-dentaire rigoureuse) au contrôle professionnel (détartrage soigneux) avec une périodicité adaptée au contexte reste la principale mesure de prévention.

* Le praticien pourra le cas échéant prescrire des agents qui agissent sur le développement de la plaque bactérienne (bains de bouche à la Chlorhexidine à 0,12 % sans alcool par exemple).

  1. L’épulis gravidique : C’est une tumeur bénigne hyperplasique, apparaissant en général au cours du 3ème mois. Elle se présente sous la forme d’une hyperplasie gingivale, d’aspect rouge, souvent nodulaire ou ulcéreuse et pédiculée, localisée préférentiellement dans les espaces inter proximaux au niveau des incisives mandibulaires.

Elle disparaît spontanément après l’accouchement.

Son exérèse chirurgicale est envisagée quand celle-ci interfère sur la mastication ou lorsqu’elle gêne le brossage.

  1. Les parodontites et leurs possibles répercutions systémique:

Le groupe de travail de l’ANAES (Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé) sur les parodontopathies recommande une surveillance particulière des femmes enceintes (accord professionnel).

Selon eux, la découverte d’une parodontite nécessite la prise en charge et une surveillance obstétricale accrue car la maladie parodontale semble significativement associée à un risque de prématurité : naissance avant la 37ème semaine de gestation d’un nouveau-né d’un poids inférieur à 2,5 kg.

Armitage GC recommande de dépister une parodontite avant toute grossesse. Si ce dépistage intervient en cours de celle-ci, seul un traitement à minima pourra être entrepris, Lopez NJ et al.

  1. Les lésions dentaires

Les caries (Un enfant, une dent )

Cette croyance s’explique par la modification du:

*comportement alimentaire des futures mamans

*Du fait de la survenue fréquente de nausées et de vomissements

*De plus, la présence d’une gingivite responsable de gingivorragies au cours du brossage entraîne fréquemment une inadéquation de l’hygiène, ce qui aggrave le phénomène.

Par ailleurs, la femme enceinte pourrait se plaindre d’une douleur diffuse, jamais localisée. Cette douleur serait due aux modifications circulatoires intra-pulpaires entraînant une compression des filets nerveux contre la paroi inextensible de la chambre pulpaire.

Cette douleur n’est pas liée à la présence de caries.

Si la douleur survient sur des dents saines, elle disparaîtra après une ou deux semaines

Sur les dents cariées, les symptômes persistent, signent une atteinte pulpaire et nécessitent ainsi un traitement d’urgence.

  1. L’hyperesthésie :

Il a été constaté que la grossesse prédispose à des modifications de la sensibilité dentaire dans le sens d’une hypersensibilité dentinaire

  1. L’érosion dentaire : L’érosion est définie comme une dissolution des tissus minéralisés sous l’action des substances chimiques.

Pendant la grossesse, des cas d’érosion dentaire ont pu être observés surtout au niveau des collets des faces palatines du groupe antéro- supérieur

Les érosions sont dues à une acidité alimentaire ET des vomissements répétés. Ces érosions provoquent des douleurs brèves survenant après le repas

  1. LA PRISE EN CHARGE ODONTOSTOMATOLOGIQUE DE LA FEMME ENCEINTE

Il n’y a aucune contre-indication à réaliser des soins dentaires, au contraire l’abstention peut avoir des répercussions chez la femme enceinte et le fœtus

Cependant, certaines précautions nécessitent d’être prises. Elles concernent notamment

  • Le stress
  • L’usage des radiations ionisantes
  • Les anesthésies
  • Les prescriptions médicamenteuses
  • Les matériaux d’obturation
  • La présence de pathologies concomitantes
  • Le moment le plus approprié pour réaliser les soins.
  1. Le stress : Le stress et l’anxiété seront minimisés par l’établissement d’une bonne relation praticien patiente. Le dialogue trouvera toute son importance pour mettre en confiance la future maman. Il visera à expliquer nos gestes et leur innocuité vis-à-vis du fœtus.
  1.  Les radiations ionisantes : La prise de position de l’American college of radiology est formelle:

L’exposition de la femme enceinte aux radiations ionisantes en vue d’un diagnostic dentaire ne présente aucun risque pour le développement normal de l’embryon ou du fœtus (HALL 1991, cité dans 8).

Toutefois, l’association allemande de stomatologie et médecine dentaire recommande :

  • L’utilisation du long cône
  • La protection de la femme enceinte par un tablier plombé,
  • Et la réduction du nombre de clichés au strict minimum.

Il est vrai que ces précautions réduisent l’irradiation du fœtus, mais la sagesse fait que les examens radiographiques en particulier durant le premier trimestre ne seront effectués qu’en cas d’indication impérative.

  1. L’anesthèsie :

Chez la femme enceinte, aucune technique analgésique utilisée au cabinet dentaire n’est contre indiquée.

*Le produit anesthésique

-Les anesthésiques locaux sont des substances capables de traverser la barrière placentaire.

-Leur taux de diffusion est tributaire de leur affinité pour les protéines plasmatiques, puisque seule la fraction libre peut pénétrer dans la circulation du fœtus.

C’est pourquoi, en odontostomatologie, il est recommandé d’utiliser des substances avec un fort taux de liaison aux protéines plasmatiques ( plus de 90 %). Ce qui est le cas de l’articaïne.

  • D’autres molécules telles que la lidocaïne et la mépivacaïne ont un taux de liaison d’environ 70 %.
  • Pour la lidocaïne: l’analyse clinique d’un nombre élevé de grossesses n’a apparemment révélé aucun effet malformatif ou foetotoxique. Cependant il convient d’utiliser la lidocaïne avec précaution.
  • la mépivacaïne: les études conduites chez l’animal ont mis en évidence une foetotoxicité. Une bradycardie accompagnée parfois d’acidose chez le fœtus. Chez le nouveau-né, il y a un risque de cyanose et de baisse transitoire des réponses neurocomportementales à la naissance. Ces effets sont d’autant plus manifestes que l’anesthésie est réalisée dans les derniers jours de la grossesse. C’est pourquoi l’utilisation de la mépivacaïne est déconseillée.
  • L’adjonction de vasoconstricteurs tels que l’adrénaline ou la noradrénaline ralentit le passage de l’anesthésique dans la circulation générale et assure ainsi le maintien prolongé d’une concentration tissulaire active, permettant d’obtenir un champ opératoire peu hémorragique.
  • Ils ne provoquent pas en principe de tachycardie du fœtus, du fait qu’ils ne sont pas métabolisés en molécules biologiquement actives dans le placenta.
  • Cependant il faut donner la préférence à des concentrations d’adrénaline les plus faibles possibles (par exemple 1 : 200 000).

5-5-La prescription médicamenteuse :

Le soin dentaire ou le traitement d’urgence prodigué peut être complété par une prescription médicamenteuse lorsqu’uneinfection est installée.

  • La grossesse ne doit pas faire retarder le traitement des affections de la cavité buccale.
  • Cependant certains antibiotiques, certains anti-inflammatoires ou antalgiques sont à éviter soit pendant la durée de la gestation soit seulement à certaines périodes de celle-ci.
  • Les antibiotiques :

*Toute infection bactérienne systémique de la mère présente un risque élevé de malformations fœtales, indépendamment du stade de développement de l’enfant.

*Dans ce cas un traitement antibiotique est alors indiqué.

*Il ne faut jamais sous-doser une antibiothérapie, sous peine de ne pas atteindre des taux plasmatiques efficaces du fait de l’accroissement de 40 à 55 % de volume de sang circulant chez la femme enceinte.

  • Les béta –lactamines :peuvent être prescrites sans restriction au cours de la grossesse (la pénicilline, l’ampicilline
  • Utilisation de l’acide clavulanique : autorisèe
  • l’administration des tétracyclines est contre- indiquée :

Des risques de malformations dentaires et squelettiques au cours de la grossesse. Par ailleurs des cas de pancréatite aiguë et de stéatose hépatique (l’accumulation de graisse dans le foie) ont été signalées chez la mère.

  • la clindamycine

Le recours devrait être limité aux infections par des germes anaérobies, en raison des effets secondaires de cet antibiotique chez la mère : nausées et vomissements

  • Le métronidazole

Montre des effets mutagènes in vitro et son utilisation durant la grossesse est controversée

  • Analgésiques

Paracétamol est la substance de choix pour les traitements analgésiques au cours de la grossesse. Il faut cependant proscrire des posologies élevées durant une période prolongée, afin d’éviter d’éventuelles lésions hépatiques du fœtus.

  • Les analgésiques du groupe de l’acide acétylsalicylique (AAS
  • Plusieurs cas de fermeture précoce du canal artériel chez le fœtus ont été rapportés
  • Au cours du dernier trimestre l’absorption d’AAS supérieure ou égale à 500 mg par prise et par jour peut exposer le fœtus à une toxicité cardio-pulmonaire et à un dysfonctionnement rénal et la mère à un risque d’allongement du temps de saignement.

Tout médicament contenant de l’AAS est contre- indiqué pendant le dernier trimestre.

  • Les dérivés codéines :

Sont à rejeter compte tenu des détresses respiratoires post-partum qu’ils peuvent entraîner chez le nouveau-né.

  • anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) :  le diclofénac, l’ibuprofène
  • ils peuvent entraîner une toxicité pulmonaire par fermeture partielle du canal artériel chez le fœtus.
    • Les corticoïdes
  • Ils ne sont administrés que lorsque le pronostic vital est mis en jeu ; en cas de choc anaphylactique par exemple
  • peuvent entraîner un retard de croissance fœtale, ainsi qu’une éventuelle action sur la maturation pulmonaire et sur certaines régions du cerveau
GrossesseAllaitement
AntibiotiquesAutorisésAmoxicilline Amoxicilline + Ac. clavulaniqueClindamycine Josamycine Erythromycine Spiramycine MétronidazoleAmoxicilline Amoxicilline + Ac. clavulaniqueJosamycine
DéconseillésAzithromycineCyclines Spiramycine Métronidazole Azithromycine
Contre-indiquésCyclinesClindamycine
Antalgiques et anti-inflammatoiresAutorisésParacétamol Paracétamol/codéïne (ponctuellement)Corticoïde en cure courteParacétamol IbuprofèneCorticoïde en cure courte
DéconseillésAINS aux 1er et 2e trimestres TramadolParacétamol/codéïne (sauf ponctuellement et sous surveillance) Tramadol
Contre-indiquésParacétamol + opiumAINS à partir du début du 6e mois de grossesseParacétamol + opium
AntifongiquesAutorisésAmphotéricine B topique Nystatine topique Miconazole topiqueNystatine sous surveillance
DéconseillésAmphotéricine B per os
Contre-indiquésNystanine per os FluconazoleFluconazole
AutresAutorisésAciclovirAciclovir topique
DéconseillésIode en intrabuccal Hydroxyzine (en accord avec le gynécologue traitant)Hydroxyzine
Contre-indiquésAciclovir per os

BIBLIOGRAPHIE

  1. Bahl R. Local anesthesia in dentistry. Anesth prog, 2004; 51: 138 – 142.
  2. Agbo- Godeau S. Stomatologie et grossesse. Encycl Méd Chir (éditions scientifiques et médicales Elsevier, SAS, Paris, tous droits réservés), Stomatologie, 22-050-F-10, Gynécologie –Obstétrique, 5-045-A-10, 2002, 4p.
  3. Roche Y. Chirurgie dentaire et patients à risque. Editions Flammarion Médecine-sciences, Paris, 1996.
  4. Morand J.M. La femme enceinte au cabinet dentaire (2ème partie). Information dentaire, 1996 ; (44) : 3539- 3541.
  5. Benyahia I. Grossesse et cavité buccale. Espérance médicale, 1996 ; 3(21) : 649-652.
  6. Bauser A. La femme enceinte au cabinet dentaire. Cahier rédactionnel, information dentaire, 2000 : 1-12.
  7. Gaudy J.F. et coll. La pratique de l’analgésie en odontologie. Editions CdP, Paris, 2005.
  8. Giglio A. et al. Oral health care for the pregnant patient. JCDA, 2009; 75 (1): 43- 48. www.cda-adc.ca/jcda/vol- 75/issue-1/43.html

Prise en charge de la femme enceinte en odontostomatologie

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