Limitation de l’ouverture buccale.
Introduction
Les limitations d’ouverture buccale (LOB), qu’elles soient transitoires (trismus) ou permanentes, constituent des symptômes fréquents qui incitent les patients à consulter leur médecin-dentiste. Une approche systématique, incluant un interrogatoire approfondi et un examen clinique minutieux, est essentielle pour identifier la cause et instaurer un traitement adapté.
I/ Trismus
Définition
Le trismus est un symptôme transitoire caractérisé par une impossibilité, plus ou moins complète, d’ouvrir la bouche. Cette constriction, de nature aiguë ou subaiguë, est de courte durée, généralement inférieure à deux mois. Elle résulte d’un dysfonctionnement musculaire ou articulaire.
Caractérisation : « Limitation d’ouverture passagère, récente et transitoire ».
Le trismus est classifié selon l’amplitude d’ouverture :
- Léger : 35 à 20 mm
- Modéré : 10 à 20 mm
- Serré : ≤ 10 mm
Diagnostic étiologique
1/ Causes locales
1-1/ Causes inflammatoires et infectieuses
Causes dentaires :
- Infection dentaire, parodontale ou péricoronaire
- Cellulite périmaxillaire
- Ostéite (plus rare)
Causes non dentaires :
- Muqueuses : stomatite, gingivite
- Salivaires : submandibulite, parotidite
- Articulaires : arthrite temporo-mandibulaire
- Infections spécifiques : actinomycose cervicofaciale, tuberculose
Origine ORL :
- Phlegmon péri-amygdalien
- Adénophlegmon latéro-pharyngien
1-2/ Causes traumatiques
- Fracture de la mandibule (ATM, coronoïde, branche montante, angle)
- Fracture de l’arcade zygomatique ou zygomato-malaire
- Traumatisme des muscles masticateurs : contusion, plaie, hématome
- Complications infectieuses postopératoires, notamment après extraction de dents de sagesse incluses
- Anesthésie locorégionale à l’épine de Spix
1-3/ Causes tumorales
- Tumeurs inflammatoires bénignes
- Envahissement musculaire par une tumeur maligne
1-4/ Pathologie des ATM
- Dysfonction articulaire de l’ATM (DAM)
- Affections rhumatologiques inflammatoires ou dégénératives
2/ Causes générales
2-1/ Causes infectieuses
- Tétanos : Toxi-infection à Clostridium tetani, première étiologie à envisager en raison de sa gravité (mortalité de 20 à 50 %). Le trismus précède généralement une contracture généralisée (dans les 48 heures).
- Paludisme : Maladie parasitaire due à Plasmodium, transmise par piqûre de moustique. La LOB peut être un symptôme ou une séquelle du traitement (quinine).
- Méningite aiguë :
- Trismus associé à des signes généraux
- Diagnostic confirmé par ponction lombaire
- Rage : Méningo-encéphalomyélite avec convulsions, contractures généralisées et hypersialorrhée
2-2/ Causes toxiques et médicamenteuses
- Neuroleptiques : Haldol®, Majeptil®, Terfluzine®
- Antihistaminiques
- Intoxication à la strychnine (dose toxique : 20 mg chez l’adulte)
2-3/ Causes neurologiques
- Encéphalite vaccinale ou épidémique
- Lésions cérébrales bulboprotubérantielles
- Certaines formes de maladie de Parkinson
2-4/ Trismus d’origine métabolique ou carentielle
- Hypoglycémie
- Carence en vitamine B1
Diagnostic différentiel
- Constriction permanente des maxillaires : État fixé, acquis, dû à une consolidation anormale, ne cédant pas sous anesthésie générale.
- Luxation temporo-mandibulaire : Bouche fermée, latérodéviation, vacuité de la région condylienne luxée.
- Pithiatisme : Stimulation du réflexe nauséeux pour le diagnostic.
Diagnostic positif
- Circonstances de découverte : Interrogatoire, examen clinique, examen général
- Examens paracliniques :
- Panoramique dentaire : Évaluation initiale de l’état dentaire, articulaire et osseux
- En seconde intention :
- TDM
- Fibroscopie par voie nasale
- IRM
Traitement
1/ Symptomatique
- Infiltrations :
- Anesthésie locorégionale du nerf temporo-massétérin
- Anesthésie extra-orale du nerf alvéolaire inférieur
- Anesthésie générale pour confirmer le diagnostic et permettre le traitement
- Traitement médical :
- Myorelaxants
- Injection de toxine botulique dans un muscle spasmé
- Physiothérapie :
- Rééducation maxillo-faciale
- Mécanothérapie
2/ Étiologique
- Cause traumatique :
- Antalgiques, antibiotiques
- Réduction et contention des foyers de fracture
- Traitement fonctionnel
- Cause infectieuse :
- Antibiotiques et traitement local
- Causes générales :
- Séroprophylaxie antitétanique
- Mesures de prévention en cas de morsure animale
Évolution
- Guérison complète si la cause est traitée.
- Sans traitement, risque d’évolution vers une constriction permanente.
- Pronostic :
- Favorable pour une étiologie locale
- Réservé pour une étiologie générale
II/ Constrictions permanentes des maxillaires (CPDM)
Définition
Les constrictions permanentes des maxillaires se caractérisent par une impossibilité partielle ou totale, mais durable, d’ouvrir la bouche. Elles résultent d’une entrave à l’abaissement mandibulaire, due à :
- Une fusion osseuse (ankylose temporo-mandibulaire ou constriction osseuse extra-articulaire)
- Une atteinte des tissus mous (lésions cicatricielles musculaires ou cutanées)
Critères :
- Limitation < 30 mm (mesurée entre les incisives)
- Complète si < 5 mm
II-1/ Ankylose temporo-mandibulaire (Constriction permanente articulaire)
Définition
L’ankylose temporo-mandibulaire correspond à la disparition des structures articulaires normales, remplacées par :
- Un tissu osseux (fusion osseuse)
- Un tissu fibreux (fusion fibreuse)
Ces fusions entraînent une soudure de la mâchoire au crâne.
Diagnostic étiologique
- Traumatismes :
- Fractures condyliennes
- Blocage intermaxillaire prolongé
- Traumatismes obstétricaux lors de l’accouchement
- Fractures non diagnostiquées
- Infections :
- Générales : septicémies, arthrites gonococciques, scarlatine, typhoïde
- Locales : otite moyenne, mastoïdite, parotidite
- Maladies inflammatoires et dégénératives :
- Polyarthrite rhumatoïde
- Spondylarthrite ankylosante
- Polyarthrite chronique juvénile
Formes anatomo-pathologiques
- Ankylose partielle : Une partie de l’articulation reste intacte
- Ankylose totale : L’articulation est remplacée par un bloc osseux épais
Diagnostic positif
Clinique chez l’adulte
- Motif de consultation : Limitation de l’ouverture buccale
- Interrogatoire : Antécédents de traumatisme ou d’infection, date et mode d’installation
- Inspection : Asymétries, déformations, cicatrices
- Ouverture buccale : < 35 mm
- Palpation :
- Forme unilatérale :
- Côté ankylosé : Masse osseuse indolore, absence de mouvement
- Côté sain : Atrophie des muscles masticateurs, altération de la muqueuse et de la denture
- Déviation du point interincisif et du menton vers le côté atteint
- Forme bilatérale :
- Cale osseuse bilatérale prétragienne
- Examen endobuccal difficile
Clinique chez l’enfant
- Forme unilatérale :
- Asymétrie faciale
- Déviation du menton vers le côté ankylosé
- Aplatissement de la joue côté sain
- Plan d’occlusion oblique, remontant vers le côté ankylosé
- Branche montante courte
- Forme bilatérale :
- Atrophie de la mâchoire inférieure
- Profil d’oiseau
- Absence de latérodéviation
- Hypogénésie, occlusion de classe II
- Propulsion et diduction abolies
- Denture altérée
Imagerie
Selon les incidences (panoramique dentaire, TDM, IRM) :
- Bloc osseux
- Disparition de la ligne interarticulaire
- Insuffisance de hauteur de la branche montante
- Encoche pré-angulaire et hypertrophie du coronoïde
- Image d’ostéolyse (origine rhumatismale)
- Présence de tissu fibreux intra- ou péri-articulaire
Diagnostic différentiel
- Trismus
- Constriction permanente d’origine extra-articulaire
- Maladie de Jacob
- Constrictions liées à l’ossification des muscles masticateurs
- Arthrogrypose multiple congénitale
- Luxation temporo-mandibulaire
Traitement
Objectifs
- Adulte :
- Libérer les mouvements mandibulaires tout en évitant la récidive
- Restaurer la fonction masticatrice
- Enfant :
- Traiter les déformations par chirurgie et rééducation fonctionnelle
Traitement prophylactique
- Prévenir les atteintes articulaires en cas d’infections générales ou locales
- Rechercher les fractures condyliennes après tout traumatisme mandibulaire
- Éviter l’immobilisation articulaire chez l’enfant en cas de fracture condylienne
Traitement curatif
- Âge d’intervention : Précoce
- Technique : Chirurgicale
- Anesthésie : Générale, nécessitant souvent une intubation trachéale
- Voie d’abord : Pré-auriculaire, en avant ou sur le bord du tragus
- Suppression de l’ankylose : Résection du bloc osseux et/ou fibreux
- Arthroplastie
- Condylectomie et résection d’un bloc volumineux
- Création d’une nouvelle cavité articulaire pour éviter la récidive :
- Interposition
- Endoprothèse
- Greffes ostéo-cartilagineuses
Rééducation fonctionnelle
- Débute immédiatement après l’intervention
- Kinésithérapie contrôlée par le praticien
- Objectifs :
- Assouplir les éléments péri-articulaires
- Maintenir l’amplitude des mouvements
- Rétablir l’équilibre musculaire
- Méthodes :
- Appareillage préfabriqué (Delaire et Mercier)
- Blocage bouche ouverte
- Cale molaire
- Traitements complémentaires :
- Traitement parodontal
- Traitement des caries
- Correction de l’occlusion et des malpositions (orthodontie)
Pronostic
- Ankylose fibreuse : Bon
- Ankylose osseuse complète : Sombre, avec risque de récidive
Évolution et complications (en l’absence de traitement)
- Complications locales :
- Hypogénésie du maxillaire
- Denture fortement atteinte si la maladie est ancienne
- Exploration buccale et pharyngée impossible
- Complications générales :
- Alimentation perturbée
- Troubles digestifs
- Phonation altérée
- Fonction ventilatoire compromise
- Troubles psychologiques
II-2/ Constriction osseuse extra-articulaire
Étiologie
- Lésions traumatiques :
- Fracture de l’apophyse zygomatique
- Fracture malaire
- Fracture de l’apophyse coronoïde
- Maladie de Jacob : Hypertrophie de l’apophyse coronoïde, associée ou non à une hypertrophie malaire
Diagnostic
- Basé sur l’interrogatoire, l’examen clinique et la radiographie
Traitement
- Repositionnement des éléments fracturés
- Maladie de Jacob : Résection de la coronoïde
II-3/ Constriction cutanée, musculaire ou muqueuse
- Absence de lésion osseuse, ATM saine
- Limitation d’ouverture due à une sclérose cicatricielle rétractile progressive
- Remplacement partiel des tissus normaux par un tissu fibreux rétractile
- Atteinte des plans cutané, muqueux ou musculaire
- Blocs cicatriciels impliquant tous les plans
Traitement
- Étiologique : Traitement des lésions infectieuses
- Restauratif : Reconstruction des plans cutané superficiel et/ou muqueux endobuccal
Conclusion
Le trismus est un symptôme révélateur de nombreuses pathologies. Il nécessite une recherche étiologique rigoureuse et une prise en charge précoce pour prévenir son installation. La constriction permanente, principalement due à l’ankylose temporo-mandibulaire, peut être évitée par une gestion rapide et adéquate des lésions infectieuses et traumatiques au cabinet dentaire.
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- Guide d’odontologie pédiatrique, 3e édition: La clinique par la preuve
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Limitation de l’ouverture buccale

Dr J Dupont, chirurgien-dentiste spécialisé en implantologie, titulaire d’un DU de l’Université de Paris, offre des soins implantaires personnalisés avec expertise et technologies modernes.