LES PERTES DE SUBSTANCES

LES PERTES DE SUBSTANCES

                            LES PERTES DE SUBSTANCES


Les Pertes de Substances

I. Définition

Les pertes de substances (PDS) sont des destructions plus ou moins importantes du tissu cutané, muqueux et/ou osseux. Les PDS ont cinq causes principales : elles peuvent être d’origines congénitales, infectieuses, traumatiques, ou, le plus souvent, résulter d’une exérèse chirurgicale de tumeurs maxillaires. Elles sont classées selon la portion osseuse réséquée ou l’objectif prothétique.

Les techniques conventionnelles permettent de réaliser des prothèses obturatrices, classées en trois types : immédiates, transitoires ou d’usage. La prise d’empreinte est une étape délicate en raison des risques de reflux du matériau dans les cavités, de la limitation de l’ouverture buccale, et du risque d’altérer la fibro-muqueuse sensible et affaiblie lors de la réinsertion de l’empreinte. Ces obstacles anatomiques rendent les actes cliniques inconfortables pour le patient et complexes pour le praticien. Ce document se concentre exclusivement sur les PDS au niveau du maxillaire.

II. Étiologies des Pertes de Substances Maxillaires

Les pertes de substances endo-buccales provoquent une continuité tissulaire, entraînant une communication entre la cavité buccale et les fosses nasales et/ou le sinus. Elles sont très hétérogènes en termes de situation anatomique, morphologique et d’extension.

1. Facteurs Congénitaux

La formation de la face se déroule entre la 4e et la 10e semaine de grossesse par le développement et la fusion des cinq bourgeons faciaux. Les bourgeons nasaux et maxillaires fusionnent pour former la lèvre supérieure, le maxillaire et le palais primaire vers la 6e semaine de vie intra-utérine. Entre la 6e et la 9e semaine, le processus palatin, dérivé du bourgeon maxillaire, rejoint le processus palatin opposé et le vomer, dérivé du bourgeon frontal, pour former le palais secondaire. Les fentes faciales, y compris les fentes labio-palatines, résultent de l’incapacité de ces bourgeons à fusionner correctement, due à une combinaison multifactorielle de facteurs génétiques et environnementaux.

2. Traumatismes

En traumatologie civile maxillo-faciale, les PDS maxillaires peuvent résulter d’accidents du travail, domestiques ou sportifs. La traumatologie balistique (tentatives d’autolyse ou homicides) peut également provoquer des délabrements complexes nécessitant une reconstruction chirurgicale importante.

3. Autres Causes Iatrogènes

Ces PDS sont consécutives à une ostéonécrose, le plus souvent mandibulaire, causée par des dérivés arsénieux ou des biphosphonates. Des nécroses maxillaires peuvent également être dues à des infections comme l’herpès virus, des infections mycosiques, ou le virus de l’immunodéficience acquise (SIDA).

4. Pathologie Tumorale

L’exérèse de tumeurs maxillaires entraîne des PDS importantes et constitue l’étiologie la plus fréquente en prothèse maxillo-faciale. Les tumeurs des voies aérodigestives supérieures (VADS) représentent 30 % des tumeurs de cette région, les carcinomes épidermoïdes étant les plus fréquents au niveau de la voûte palatine et des gencives. L’exérèse provoque une communication buccosinusale (CBS) ou bucconasale (CBN).

Les facteurs de risque incluent le tabac, l’alcool, les irritations chroniques de la muqueuse, les états carentiels, les terrains immunodéprimés (patients greffés, atteints du SIDA), et la consommation de drogues comme la cocaïne. Les tumeurs malignes maxillaires peuvent provenir de la cavité buccale ou être des extensions de tumeurs sinusiennes, avec des caractéristiques étiologiques et cliniques distinctes selon leur origine.

5. L’Exérèse Chirurgicale

Le traitement des tumeurs maxillaires repose sur une décision pluridisciplinaire, basée sur un examen clinique oto-rhino-laryngologique et une imagerie tomodensitométrique (TDM) pour analyser l’anatomie de la tumeur. Chaque patient est traité individuellement selon les caractéristiques de la tumeur et son état général. L’exérèse chirurgicale est le traitement de choix, guidée par l’histologie, la faisabilité de la résection, et la présence de métastases cervicales ou distantes.

Cette intervention peut être très mutilante, affectant tout ou partie du maxillaire, ainsi que les cavités nasales, sinusiennes ou orbitaires. Le chirurgien cherche à préserver le capital dentaire et les piliers du massif facial pour faciliter la réhabilitation orale future. Un diagnostic précoce améliore le pronostic, tandis que des métastases cervicales tardives sont un facteur défavorable.

III. Conséquences des Pertes de Substances

Les PDS maxillaires, souvent mutilantes, affectent une région clé pour les fonctions orofaciales et la vie sociale, entraînant une communication entre la cavité buccale, les fosses nasales ou les sinus, et parfois les zones cutanées et musculaires.

1. Troubles Fonctionnels

Les principaux troubles fonctionnels incluent :

  • Difficultés d’élocution et de phonation : fuite d’air dans les fosses nasales, voix nasonnée, paroles parfois incompréhensibles.
  • Alimentation pénible : reflux des aliments et liquides vers les fosses nasales ou sinus (fausses routes), pouvant nécessiter une sonde nasogastrique pour alimentation parentérale.
  • Troubles masticatoires : dissymétrie occlusale et limitation de l’ouverture buccale.
  • Perte de mobilité des muscles faciaux : atteinte des muscles oro-faciaux post-exérèse, provoquant des pertes de mobilité faciale.
  • Problèmes ophtalmologiques : perturbation de la vision et de la statique oculaire en raison de la proximité du plancher orbitaire.
  • Troubles respiratoires : la communication bucconasale (CBN) empêche la filtration, l’humidification et le réchauffement de l’air par la muqueuse nasale.
  • Troubles salivaires : la radiothérapie provoque une hyposialie, entraînant xérostomie, fragilisation des muqueuses, caries à évolution rapide, et altération de la flore buccale. Au niveau cutané, des manifestations comme érythème, desquamation, sensibilité et démangeaisons peuvent apparaître.

2. Troubles Infectieux

Une communication bucco-sinuso-nasale étroite peut entraîner une infection chronique des sinus, parfois liée à une prothèse dentaire mal adaptée.

3. Troubles Esthétiques

Les PDS provoquent un affaissement des lèvres et des joues, causant des dissymétries faciales, amplifiées par l’ampleur de l’exérèse. Des brides cicatricielles peuvent persister après la chirurgie.

4. Qualité de Vie

Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), la qualité de vie est « un état de complet bien-être physique, mental et social ». Le traitement des PDS doit non seulement contrôler la tumeur et prolonger la survie, mais aussi améliorer la qualité de vie, qui varie selon chaque individu sur les plans physique, psychologique et social.

IV. Classifications : Classification de Brown Modifiée par Okay en 2000

La classification de Brown, modifiée par Okay en 2000, distingue les PDS maxillaires selon deux composantes : verticale et horizontale.

Composante Verticale

La composante verticale est définie par les classes 1 à 4 :

  • Classe 1 : Maxillectomie basse sans communication oro-antrale (pas d’atteinte de la muqueuse sinusienne).
  • Classe 2 : Maxillectomie moyenne avec communication, sans atteinte du plancher orbitaire.
  • Classe 3 : Maxillectomie haute avec atteinte du plancher orbitaire, sans atteinte du contenu orbitaire.
  • Classe 4 : Maxillectomie totale avec exentération complète.

Composante Horizontale

La composante horizontale est caractérisée par les lettres a, b ou c :

  • a : Maxillectomie alvéolaire unilatérale.
  • b : Maxillectomie alvéolaire bilatérale.
  • c : Maxillectomie alvéolaire totale.

LES PERTES DE SUBSTANCES

Illustration : La figure 2 illustre la classification de Brown modifiée par Okay en 2000.

V. Traitement

La Réhabilitation Chirurgicale

La réhabilitation chirurgicale consiste à fermer le site de la PDS par un lambeau ou un greffon, une technique en constante évolution permettant de restaurer certaines structures anatomiques, les fonctions orofaciales et l’esthétique.

Avantages et Inconvénients de la Réhabilitation Chirurgicale

Avantages :

  • Fermeture étanche et définitive de la PDS, offrant un confort optimal.

Inconvénients :

  • Absence de contrôle direct de la cavité d’exérèse, nécessitant une surveillance radiographique fréquente.
  • Technique complexe et intervention longue.
  • Coût élevé et morbidité du site donneur.
  • Persistance de problèmes phonatoires.
  • Difficulté d’adaptation des prothèses dentaires en raison de l’architecture défavorable des tissus reconstruits, pouvant nécessiter des greffes osseuses pour implants ostéo-intégrés.

Procédés Chirurgicaux de Reconstruction

Les méthodes de reconstruction varient selon la situation clinique et le type de tissus utilisés, prélevés localement ou à distance.

Plastie Locale

La plastie locale s’adresse aux PDS de taille modeste. Elle repose sur la fermeture par glissement de lambeaux de muqueuses buccales (langue, muqueuse pharyngienne) ou, dans certains cas, de lambeaux cutanés pour les PDS affectant les tissus faciaux ou nasaux, tout en préservant la vascularisation.

Plastie Locorégionale

La plastie locorégionale concerne les PDS plus importantes. Elle consiste à transférer un lambeau pédiculé et vascularisé (musculaire ou musculo-cutané) d’une zone régionale. Exemples de lambeaux :

  • Nasogénien.
  • Buccinateur.
  • Temporal, frontal ou cervical.
  • Lambeau graisseux de Bichat.
Plastie à Distance

La plastie à distance utilise des lambeaux libres vascularisés prélevés loin du site receveur. Cette opération longue et complexe nécessite des micro-anastomoses. Exemples :

  • Lambeau temporal.
  • Lambeau iliaque.

La Réhabilitation Prothétique

La prothèse obturatrice, composée d’une plaque palatine et d’un obturateur, vise à refermer la communication bucco-sinuso-nasale de manière étanche, restaurant les fonctions, l’esthétique (par soutien des tissus mous) et la qualité de vie.

Composantes de la Prothèse Obturatrice

  • Plaque palatine : En résine ou métal coulé, elle assure rétention, stabilisation et sustentation. Elle peut inclure des dents prothétiques.
  • Obturateur : En résine dure ou matériau souple, solidaire ou non de la plaque (prothèse monobloc ou à étages), il comble la PDS en position intra-maxillaire.

Types de Prothèses Obturatrices

a. Prothèse Obturatrice Immédiate

Également appelée obturateur chirurgical, elle est mise en place en peropératoire et portée quelques semaines avant la prothèse transitoire. Une consultation préopératoire est nécessaire pour recueillir les informations médicales, réaliser une empreinte primaire à l’alginate, enregistrer les rapports maxillomandibulaires, et établir un contact psychologique avec le patient.

Le laboratoire confectionne une plaque palatine avec crochets cavaliers pour la rétention. Après l’exérèse et le comblement des contre-dépouilles avec des compresses vaselinées, une empreinte en résine acrylique à prise retardée (Fitt de Kerr®) est réalisée pour l’obturateur immédiat, qui facilite la cicatrisation.

b. Prothèse Obturatrice Provisoire ou Semi-Immédiate

Réalisée dans les 8 jours à 2 semaines post-opératoires, elle est indiquée lorsque la prothèse immédiate n’a pas pu être préparée. Elle dépend de l’état du patient et des contraintes logistiques (manque de temps ou distance entre les unités de prothèse et de chirurgie). Mise en place en milieu hospitalier pour éviter les risques hémorragiques, elle suit des étapes similaires à l’obturateur immédiat ou peut être adaptée à partir d’une prothèse adjointe partielle préexistante. L’inconvénient est l’alimentation parentérale en attente de la prothèse.

c. Prothèse Obturatrice Transitoire

Posée 3 à 4 semaines après l’intervention, elle rétablit progressivement fonction et esthétique, évoluant avec la cicatrisation. Elle peut être réalisée après une empreinte anatomofonctionnelle ou rebasée à partir de la prothèse immédiate avec une résine à prise retardée pour améliorer confort et étanchéité. Une coordination efficace de l’équipe multidisciplinaire est cruciale pour éviter une interruption prolongée de l’alimentation.

d. Prothèse Obturatrice d’Usage

Envisagée 3 mois à 1 an après l’intervention, une fois la cicatrisation complète (absence d’infection et de rétractions cicatricielles), elle rétablit occlusion, esthétique et fonction. Modifiable, elle peut nécessiter des greffes ou implants dans certains cas. Les avancées en imagerie 3D offrent des perspectives prometteuses pour sa conception.

Types d’Obturateurs

  • Obturateur rigide : Solidaire de la plaque palatine, utilisé pour les patients dentés ou avec PDS limitées, en résine.
  • Obturateur souple : Dissocié, en silicone, pour les patients édentés ou PDS étendues, avec :
  • Plaque palatine résine avec crochets façonnés (patients peu dentés).
  • Plaque métallique avec crochets coulés (patients largement dentés).
  • Obturateur creux pour minimiser le poids.

Choix entre Obturateur Souple ou Rigide

Le choix dépend de critères cliniques, comme l’état dentaire et l’étendue de la PDS. La légèreté est une qualité essentielle.

Choix entre Prothèse Monobloc ou à Étages

Le choix dépend de :

  • L’importance de la PDS.
  • L’état des tissus irradiés.
  • L’ouverture buccale.

Les prothèses monobloc sont préférées pour leur durabilité, fonctionnalité et simplicité d’utilisation, ainsi que leur facilité de rebasement. Les prothèses à étage sont adaptées aux ouvertures buccales limitées.

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Illustration : Les figures 2 répétées dans le texte renvoient à la classification de Brown modifiée par Okay en 2000.


Voici une sélection de livres en français sur les prothèses dentaires:

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