Les Limitations de l'Ouverture Buccale : Trismus et Ankylose Temporo-Mandibulaire

Les Limitations de l’Ouverture Buccale : Trismus et Ankylose Temporo-Mandibulaire

Les Limitations de l’Ouverture Buccale : Trismus et Ankylose Temporo-Mandibulaire

INTRODUCTION

La limitation de l’ouverture buccale (LOB) est un motif fréquent de consultation. Une difficulté ou une douleur lors de l’ouverture de la bouche peut être un signe de limitation de la mobilité mandibulaire et incite souvent le patient à consulter. Les causes de la LOB sont nombreuses, souvent évidentes, allant de l’infectiologie à la psychiatrie, s’intégrant dans un tableau clinique riche et évocateur. Cependant, la LOB peut aussi constituer un symptôme piège pour lequel une cause n’est pas toujours évidente, posant ainsi un problème d’orientation du diagnostic étiologique.

Le diagnostic de la LOB repose essentiellement sur un examen clinique méthodique et rigoureux. Dans ce sens, le médecin-dentiste joue un rôle primordial dans la mise en évidence d’éventuelles causes bucco-dentaires. Le recours à des examens paracliniques approfondis, voire une concertation multidisciplinaire, est souvent nécessaire devant une LOB de cause non apparente. Le traitement dépend de la cause.

Deux grandes formes s’opposent :

  • La forme évolutive ou trismus.
  • La forme fixée ou constriction permanente des maxillaires (CPM).

I. DÉFINITIONS DE LA LIMITATION DE L’OUVERTURE BUCCALE (LOB)

  • Trismus : Symptôme caractérisé par une limitation temporaire de l’ouverture buccale due à une contraction des muscles élévateurs de la mandibule, empêchant l’action des muscles abaisseurs. Il est en rapport avec une maladie ou une infection en évolution. Le plus souvent, il s’agit d’une contracture réflexe de défense contre la douleur, ce qui explique son caractère passager : il disparaît lors de la guérison de l’infection ou de la lésion. Le trismus cède également sous anesthésie générale (++), ce qui le distingue de la CPM.
  • Constriction Permanente des Maxillaires (CPM) : État fixé, acquis, caractérisé par son indolence, sa chronicité et le fait qu’elle ne cède pas sous anesthésie générale.

II. RAPPELS ANATOMO-PHYSIOLOGIQUES

Le squelette facial est composé de :

  • Une partie fixe soudée à la base du crâne, appelée massif facial, comprenant treize pièces osseuses.
  • La mandibule, seul os mobile de la face.

L’articulation temporo-mandibulaire (ATM) unit la mandibule au massif facial et permet les mouvements d’ouverture et de fermeture de la bouche. Comme toute articulation, elle comprend des moyens d’union : ligaments et ménisque.

Muscles Responsables des Mouvements

  • Muscles élévateurs :
    • Masséter
    • Temporal
    • Ptérygoïdiens (médian, latéral)
  • Muscles abaisseurs :
    • Digastrique
    • Mylo-hyoïdiens
    • Génio-hyoïdiens

L’altération ou le dysfonctionnement de l’un ou l’autre peut être à l’origine d’une limitation de l’ouverture buccale.


III. DÉMARCHE DIAGNOSTIQUE

Devant une LOB, une prise en charge correcte nécessite une démarche minutieuse et méthodique.

III.1. Diagnostic Positif

Repose sur un interrogatoire et un examen clinique complet.

Circonstances de Découverte

Le patient consulte souvent pour une difficulté d’ouverture buccale. Parfois, c’est le praticien qui découvre cette limitation lors d’un examen général ou en lien avec une lésion de la sphère maxillo-faciale ou oropharyngée.

Interrogatoire

Doit chercher à déterminer :

  • Âge et profession du patient.
  • Antécédents familiaux et personnels (médicaux et chirurgicaux).
  • Date et circonstances de survenue de la LOB :
    • Plaie récente, même minime.
    • Odontalgie (infection dentaire, soins, extractions).
    • Traumatisme maxillo-facial récent ou ancien.
    • Intoxication médicamenteuse.
    • Intervention chirurgicale récente dans la sphère maxillo-faciale.
  • Caractère de la limitation :
    • Mode d’installation : brutal ou progressif.
    • Mode évolutif : continu, discontinu, progressif.
  • Vaccination antitétanique (date).
  • Traitements médicamenteux en cours (notamment neuroleptiques).
  • Signes associés :
    • Signes fonctionnels : douleur (caractéristiques), dysphagie, dysphonie, craquements des ATMs.
    • Signes généraux : fièvre, asthénie, insomnie.

Examen Clinique

  1. Examen Exobuccal
    • Évaluation de la limitation mesurée au pied à coulisse entre les incisives homologues :
      • Normale : 47 ± 7 mm.
      • Trismus léger : > 20 mm.
      • Trismus modéré : 10-20 mm.
      • Trismum serré : < 10 mm.
      • Chez l’enfant : LOB si < 20 mm.
      • Chez l’édenté : mesure de la distance intercrestale.
    • Inspection :
      • Hypertrophie uni- ou bilatérale des muscles masticateurs (temporal, masséter).
      • Symétrie/dissymétrie faciale (pointe du menton).
      • Cicatrice (ATM, région mentonnière).
      • Aspect de la peau (coloration).
      • Suppuration chronique (ostéite).
      • Signes de traumatisme (ecchymoses, hématome, plaies).
    • Palpation :
      • ATM au repos et en mouvement (mobilité condylienne).
      • Muscles masticateurs (douleurs, faisceaux indurés, volume).
      • Structures osseuses (corps mandibulaires, région zygomato-malaire).
      • Sensibilité cutanée (V2, V3 du trijumeau).
      • Recherche d’adénopathies cervicales ou pré-tragiennes.
  2. Examen Endobuccal
    • Gêné par la LOB, il évalue :
      • État dentaire (abrasion, caries, dyschromie, lésions parodontales, mobilité).
      • Occlusion.
      • Muqueuse buccale et oropharynx (amygdales, voile, région rétromolaire).
  3. Examen Général
    • Recherche de signes évocateurs : dyspnée, cyanose, raideur de la nuque.
    • Complété si besoin par :
      • Examen ORL (otoscopie, rhinoscopie, laryngoscopie, endoscopie).
      • Examen neurologique (paralysie faciale, réflexes, suspicion de tétanos).
  4. Examens Paracliniques
    • Orientation diagnostique confirmée par :
      • Examens hématologiques, anatomopathologiques, rhumatologiques, bactériologiques, histologiques.
      • Imagerie :
        • Traumatique : radiographies ciblées.
        • Non traumatique : panoramique, TDM (ptérygo-mandibulaire, sinus), IRM (pathologie articulaire), fibroscopie nasale.

III.2. Diagnostics Différentiels

  • Luxation temporo-mandibulaire postérieure avec fracture du tympanal :
    • Rare, post-choc horizontal.
    • Condyle enfonce le tympanal, blocage en bouche fermée, latérodéviation opposée, otorragie, hypoacousie.
    • Scanner confirme la fracture.
  • Luxation condylienne antérieure :
    • Impossibilité de fermer la bouche (pas de limitation d’ouverture).
  • Pithiatisme (faux trismus) :
    • Simulateurs psychiatriques ou médico-légaux.
    • Test : stimulation du réflexe nauséeux (abaisse-langue sur voile/luette) fait ouvrir la bouche.

IV. DIAGNOSTIC ÉTIOLOGIQUE DU TRISMUS

IV.1. Trismus de Causes Locales

1. Causes Inflammatoires et Infectieuses

  • Origine dentaire (fréquente) :
    • Infection radiculaire, périradiculaire, parodontale, péricoronaire (péricoronarite des dents de sagesse mandibulaires).
    • Cellulite péri-maxillaire (sus/sous mylo-hyoïdienne, masséterine), ostéite (rare).
  • Origine extra-dentaire :
    • Buccales : stomatites (ulcéreuses, nécrosantes, ex. odontiasique), gingivite.
    • Submaxillite, parotidite.
    • Articulaire : arthrite temporo-mandibulaire (locale ou propagée : otite, parotidite, mastoïdite, plaie souillée).
    • Spécifique : actinomycose cervico-faciale, syphilis (muscles masticateurs), tuberculose (ostéite mandibulaire).
  • Origine ORL :
    • Angine de Ludwig.
    • Phlegmon péri-amygdalien.
    • Adénophlegmon latéro-pharyngien.

2. Causes Traumatiques

  • Fracture de la mandibule :
    • Condylienne (haute/basse, risque d’ankylose).
    • Coroné (déplacée).
    • Branche montante/région angulaire (trouble occlusal, contracture masséter unilatérale).
  • Fracture zygomatique : embrochement du temporal.
  • Muscles masticateurs : contusion, plaie, hématome, corps étranger.
  • Iatrogène : extraction de dent de sagesse, anesthésie dans le masséter.

3. Causes Tumorales

  • Bénignes : rare, lié à des poussées inflammatoires.
  • Malignes : envahissement musculaire, trismus serré si postérieur :
    • Oropharynx (voile, amygdales, piliers).
    • Cavité buccale (commissure intermaxillaire).
    • Plancher buccal, vestibule, joue.
    • Sinus maxillaire (extension ptérygomaxillaire).

4. Pathologie des ATM

  • Dysfonctionnement de l’ATM (DAM) :
    • Myalgies avec trismus (spasme).
    • Arthralgie, bruits articulaires, obstacle discal.
    • Affections rhumatologiques (inflammatoires/dégénératives).

5. Post-Radiothérapie

  • Sclérose des muscles masticateurs et fibrose (myosclérose).
  • Trismus pendant/après irradiation (mucite ou fibrose).
  • Recherche de récidive tumorale ou ostéonécrose.

IV.2. Trismus de Causes Générales

Caractérisés par leur intermittence avec paroxysmes.

1. Causes Infectieuses

  • Tétanos :
    • Toxi-infection (Clostridium tetani, plaie).
    • Incubation : 3-15 jours.
    • Tétanos aigu :
      • Trismus inaugural, intermittent, douloureux, paroxysmes.
      • Signes : dysphagie, contracture nuque (hyperextension), rire sardonique, généralisation en 2-3 jours.
      • Interrogatoire : absence de vaccination, plaie ≥ 3 jours.
    • Tétanos céphalique de Rose :
      • Rare, grave (plaie faciale, chirurgie septique).
      • Trismus, raideur nuque, dyspnée, paralysie faciale.
  • Méningite aiguë :
    • Trismus noyé parmi fièvre, céphalées, vomissements, raideur nuque.
    • Diagnostic : ponction lombaire.

2. Causes Toxiques et Médicamenteuses

  • Neuroleptiques (Haldol, Majeptil, Terfluzine).
  • Antihistaminiques (Diphenhydramine, Doxylamine).
  • Strychnine (20 mg) : trismus après contractures, vision verte.

3. Causes Neurologiques

  • Encéphalite (vaccinale, épidémique).
  • Lésions bulbo-protubérantielles.
  • Parkinson (rare).

4. Causes Métaboliques/Carentielles

  • Hypoglycémie, tétanie (alcooliques).
  • Encéphalopathie (carence B1).

IV.3. Évolution

  • Guérison complète si cause traitée.
  • Sans traitement : risque de CPM.
  • Pronostic favorable (causes locales), réservé (causes générales).

IV.4. Traitement

Symptomatique

  • Ouverture progressive (manuelle, ouvre-bouche).
  • Infiltrations :
    • Anesthésie locorégionale (nerf temporo-massétérin, xylocaïne).
    • Ganglion sphéno-palatin (cocaïne 10%, xylocaïne).
    • Nerf alvéolaire inférieur (Ciezynski).
  • Anesthésie générale : confirme cause locale.
  • Myorelaxants, toxine botulique (ptérygoïdien latéral, DAM).

Étiologique

  • Causes locales :
    • Traumatique : antalgiques, ATB, ostéosynthèse, réduction zygomatique.
    • Infectieuse : ATB, extraction, drainage, amygdalectomie différée, bain de bouche.
    • Tumorale : ATB, AINS, corticoïdes, traitement spécifique.
    • Arthrite ATM : repos, réduction post-infection.
  • Causes générales : séroprophylaxie antitétanique, prévention (morsures).

V. CONSTRICTION PERMANENTE DES MAXILLAIRES (CPM)

  • État fixé, acquis, indolore, chronique, ne cède pas sous anesthésie générale.
  • Résulte d’un processus de consolidation anormale (osseuse, musculaire, muqueuse, cutanée).

V.1. Constriction Articulaire ou Ankylose Temporo-Mandibulaire

Perte totale/partielle du jeu de l’ATM (osseuse/fibreuse), soudant la mandibule au crâne. Conséquences : limitation sévère, gêne alimentaire, élocution, hygiène dentaire.

1.1. Étiologie

  • Traumatismes :
    • Direct (condyle).
    • Indirect (choc menton).
  • Infections :
    • Primaires : arthrites gonococciques (rare).
    • Secondaires : otites, parotidite suppurée, ostéomyélite (ramus).
  • Inflammatoire : spondylarthrite ankylosante (douleurs, érosions condyliennes, ostéophytes).

1.2. Physiopathologie

Hémarthrose post-traumatique → fibrose → ossification (cal fibreux adulte, osseux enfant).

1.3. Classification Anatomoclinique

  • Ankyloses totales (Topaziana) :
    • Type 1 : fusion condyle.
    • Type 2 : fusion échancrure sigmoïde.
    • Type 3 : fusion condyle-coroné.
  • Ankyloses partielles :
    • Externes : pont osseux condyle-zygomatique (post-traumatique).
    • Internes : condyle-os temporal/épine sphénoïde.
    • Postérieures : tympano-condylienne.

Signes Cliniques

  • Limitation sévère/nulle.
  • Unilatérale (70%) : déviation menton, joue aplatie côté sain, fente oblique, plan occlusal incliné.
  • Bilatérale : profil d’oiseau, atrophie menton, proalvéolie, supra-clusie.

Signes Radiologiques

  • Orthopantomogramme, scanner 3D :
    • Bloc fibreux/osseux, extension.
    • Déformations : latéro/micro-mandibulie.
    • TDM : destruction (infectieuse), pont osseux (traumatique), ostéolyse (rhumatismale).

V.2. Atteintes Extra-Articulaires

Limitation modérée avec latérodéviation.

2.1. Constriction Osseuse

  • Hypertrophie des coronés : apophyse longue (30-35 mm), bute sur malaire.
  • Cal coronoido-zygomatique : calcification hématome intra-temporal.
  • Fracture maxillo-malaire : déplacement basculé, synostose.

2.2. Constriction Musculaire

  • Myosites rétractiles : post-traumatique, infectieux (tuberculose, cellulite), iatrogène (radiothérapie).

CONCLUSION

Le trismus est un symptôme révélateur de nombreuses pathologies. Il nécessite une recherche étiologique rigoureuse et une prise en charge précoce pour prévenir une CPM. Les LOB affectent l’état physique, psychique et social du patient.


BIBLIOGRAPHIE

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  2. M. Donazzan, Foyers infectieux dentaires et complications, AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine 7-1105.
  3. DR Jean-Pierre Ragot, Foyers infectieux dentaires et leurs complications, Stomatologie B 211.
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Les Limitations de l’Ouverture Buccale : Trismus et Ankylose Temporo-Mandibulaire

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