Les fractures mandibulaires.
Les fractures mandibulaires
Introduction
Les fractures mandibulaires, caractérisées par une rupture de la solution de continuité de l’os de la mandibule, occupent une place importante dans les cas de traumatismes maxillo-faciaux, qui sont de plus en plus fréquents. Elles touchent en général des sujets jeunes, de sexe masculin, victimes le plus souvent d’accidents de la voie publique ou de rixes.
Anatomie
La mandibule est un os d’origine membranaire, mobile, impair et médian. C’est un os plat et long, incurvé sur le plat pour former la symphyse mentonnière et sur le champ pour former les angles. Ces plicatures constituent des zones de faiblesse.
La vascularisation mandibulaire est de type terminal, dépendant de l’artère alvéolaire inférieure. Il s’y ajoute un apport provenant du périoste. L’innervation est assurée par le nerf alvéolaire inférieur, branche terminale du nerf mandibulaire, troisième branche du nerf trijumeau (V3), cheminant dans le canal mandibulaire, au sein de l’os spongieux.
La mandibule s’articule avec la base du crâne par les deux articulations temporo-mandibulaires, mais aussi avec le massif facial via l’articulé dentaire. La tête du condyle mandibulaire, de forme ovoïde aplatie d’avant en arrière, est soutenue par un col rétréci constituant une zone de faiblesse qui cède plus facilement aux traumatismes, protégeant ainsi la base du crâne. En subissant les contraintes mécaniques imposées par les forces masticatrices, elle réagit en tant que pseudarthrose physiologique avec des réactions de résorption et d’apposition périostée.
Les mouvements élémentaires effectués par la mandibule sont : l’élévation, l’abaissement, la propulsion, la rétropulsion et la diduction. Deux groupes de muscles interviennent :
- Les élévateurs : constitués par les muscles masséters, temporaux et ptérygoïdiens médiaux. Ce sont les muscles les plus puissants de l’appareil manducateur. Ils s’insèrent à la partie postérieure de la mandibule, sur le ramus, protègent des chocs directs et exercent sur les structures osseuses et dentaires postérieures des forces considérables.
- Les abaisseurs : constitués par les muscles géniohyoïdiens, mylohyoïdiens et les digastriques. Ces muscles, plus frêles, s’insèrent à la partie antérieure de l’arc mandibulaire et tendent à ouvrir cet arc sur son bord supérieur lorsqu’il est fracturé.
Facteurs favorisants la traumatologie mandibulaire
Facteurs anatomo-pathologiques
La mandibule présente des zones de faiblesse et des zones de résistance. Les zones de faiblesse sont représentées par :
- La région incisive,
- La région prémolaire,
- La région de l’angle,
- Le col mandibulaire.
En revanche, la région molaire présente une résistance.
Facteurs histo-pathologiques
Consistance et architecture osseuse
- Os compact : La mandibule contient une portion très importante d’os compact, très dur et résistant à la compression, mais moins à la flexion, notamment dans les zones de courbure. Cette caractéristique influence les conséquences d’un coup.
- Les dents de sagesse : Les dents incluses ou enclavées fragilisent l’os maxillaire et mandibulaire.
Autres facteurs
- Âge et sexe du sujet : La majorité des fractures mandibulaires surviennent chez des hommes âgés de 20 à 30 ans.
- Pratique de certains sports : La boxe, le football, etc.
- Certaines dysmorphoses dento-maxillaires : Une personne présentant un prognathisme mandibulaire ou une rétrognathie maxillaire est plus exposée aux risques de fractures mandibulaires.
Physiopathologie
Le mécanisme des fractures
Le mécanisme peut être direct ou indirect :
- Mécanisme direct : La fracture se situe au niveau du point d’impact.
- Mécanisme indirect : Le trait de fracture se situe à distance du point d’impact. Les fractures du condyle sont les plus souvent retrouvées dans ce mécanisme.
Les déplacements
Les déplacements dans les fractures mandibulaires dépendent de :
- La force et l’orientation de l’impact,
- Le trait de fracture,
- L’articulé dentaire,
- L’action des forces musculaires sur les fragments fracturés.
On distingue plusieurs types de déplacement :
- Déplacements latéraux ou décalages,
- Angulations,
- Rotations axiales,
- Raccourcissements par chevauchement.
Étiologies des fractures mandibulaires
- Accidents de la voie publique,
- Accidents du travail,
- Accidents sportifs,
- Traumatismes balistiques,
- Fractures causées par les animaux (coups de « sabots »),
- Fractures pathologiques : ostéite post-radique, ostéomyélite, ostéochimionécrose, kystes et tumeurs développés au dépens de l’os mandibulaire, ostéoporose, etc.
Classification des fractures
Classification selon les formes anatomo-cliniques
Les fractures symphysaires et parasymphysaires
Ces fractures s’étendent de canine à canine, survenant souvent après un choc direct sur le menton, parfois accompagné d’une fracture condylienne. Elles peuvent être médianes, paramédianes, verticales, obliques ou lambdoïdes.
Clinique :
- Douleurs,
- Tuméfaction génienne basse douloureuse,
- Troubles de l’articulé,
- Troubles sensitifs,
- Association fréquente d’une fracture condylienne controlatérale.
Les fractures de la branche horizontale
Situées en régions prémolaires et molaires, elles surviennent lors de chocs directs ou indirects, souvent associées à une fracture du condyle controlatéral. Ces fractures présentent fréquemment des déplacements, avec un risque de section du nerf dentaire inférieur en cas de chevauchement important.
Clinique :
- Sans déplacement : Diagnostiquée radiologiquement.
- Avec déplacement :
- Chevauchement : Déviation du point inter-incisif du côté fracturé.
- Décalage : Béance antérieure, contact molaire prématuré.
- Angulation : Lingo- ou vestibulo-version des incisifs et des molaires.
Les fractures de l’angle mandibulaire
Causées par un choc violent, latéral ou sur le menton, la présence d’une dent de sagesse incluse double le risque de fracture.
Clinique :
- Pression antéro-postérieure sur le menton déclenche une douleur au niveau de la fracture,
- Trismus très serré,
- Déviation du point inter-incisif et du menton vers le foyer fracturé.
Les fractures de la branche montante
Fractures fermées, rares, avec peu de déplacements en raison de la protection musculaire.
Clinique :
- Trismus,
- Douleurs à la palpation,
- Trouble de l’articulé par raccourcissement de la branche montante.
Les fractures coronoïdiennes
Rares et souvent méconnues, diagnostiquées par radiographie panoramique ou maxillaire défilé. Le trait de fracture se situe généralement à la base du coroné.
Clinique :
- Mouvements d’ouverture et de fermeture de la cavité buccale douloureux,
- Douleurs à la palpation au niveau du fond du vestibule.
Les fractures de la région condylienne
Elles peuvent être :
- Intra-articulaires : Condyliennes ou capitales.
- Extra-articulaires : Sous-condyliennes hautes ou basses.
Capitales :
- Souvent dues à un choc vertical, entraînant la fracture ou l’éclatement du sommet de la tête condylienne.
- Clinique : Palpation douloureuse de l’articulation, possible otorragie par fracture de la paroi antérieure du conduit auditif externe.
Sous-condyliennes hautes :
- Extra-articulaires, survenant lors d’un choc sur le menton ou latéral fracturant le col du condyle.
- Clinique : Symptomatologie similaire à la fracture sous-condylienne basse, trouble de l’articulé, raccourcissement du côté sain.
Sous-condyliennes basses :
- Extra-articulaires, passant à la base du col, partant de l’échancrure sigmoïde.
- Clinique : Ecchymose prétragienne, limitation de l’ouverture buccale, pas de trouble de l’articulé.
Fracture comminutive du condyle : Non détaillée dans le texte.
Classification selon le terrain
Chez l’édenté total
La mandibule du sujet âgé se caractérise par :
- Une fréquence d’édentation,
- Une ostéoporose entraînant la résorption de l’os alvéolaire et une fragilisation osseuse.
Chez l’enfant
- La mandibule est moins volumineuse, plus en retrait, avec une élasticité importante expliquant les fractures en « bois vert ».
- La présence des germes des dents permanentes fragilise la mandibule.
Étude clinique
Examen clinique
Examen du traumatisé
La première étape consiste à évaluer les urgences :
- S’assurer de la liberté des voies aériennes :
- Éliminer le sang, les caillots,
- Enlever les dents avulsées, corps étrangers, prothèses dentaires,
- Éviter la ptose de la langue.
- Contrôler l’hémorragie :
- Nettoyer soigneusement les plaies cutanéo-muqueuses,
- Réaliser l’hémostase.
- Attention au pneumothorax.
Interrogatoire du blessé et de son entourage
Permet de préciser :
- Les circonstances et l’heure de l’accident,
- Le mécanisme du traumatisme,
- L’âge et le sexe du blessé,
- Les antécédents,
- L’état général,
- Les allergies éventuelles,
- Les traitements en cours,
- L’état de la vaccination anti-tétanique.
Examen exo-buccal
- Inspection :
- État des téguments : érosions, hématomes, plaies cutanées, pertes de substances,
- Déformation éventuelle du massif facial,
- Écoulements liquidiens (sang, salive, liquide céphalo-rachidien),
- Impotence fonctionnelle : limitation de l’ouverture buccale.
- Palpation :
- Bilatérale et comparative,
- Apprécier l’intégrité des reliefs osseux (arc mandibulaire, arcades zygomatiques, malaires, cadre orbitaire),
- Rechercher les points douloureux et zones d’hypoesthésie cutanée,
- Contrôler la sensibilité dans le territoire du nerf trijumeau,
- Vérifier la mobilité des condyles en plaçant les auriculaires dans le conduit auditif externe.
Examen endo-buccal
Permet :
- La recherche de plaies et d’hématomes,
- L’examen de la denture : perte de dents, fractures, état des dents restantes, existence de prothèses,
- L’examen de l’articulé dentaire : béances antérieures ou latérales, diastèmes anormaux, contacts prématurés,
- La recherche de fractures et luxations dentaires,
- L’évaluation de la mobilité, du déplacement ou de la déformation des fragments.
Note : Rechercher la vitalité pulpaire des dents situées de part et d’autre du foyer de fracture par des tests thermiques ou électriques.
Bilan radiologique
Le bilan radiologique complète l’examen clinique pour confirmer ou infirmer les lésions osseuses. Différentes incidences sont employées selon les types de fractures suspectées :
- Radiographie rétro-alvéolaire : Dépiste les lésions alvéolo-dentaires (fractures coronaires, radiculaires, alvéolaires). Analyse fine du ligament alvéolo-dentaire.
- Orthopantomogramme (radiographie panoramique) : Examen standard pour détecter les fractures mandibulaires.
- Incidence Face Basse : Étudie la région condylienne, la branche montante, les angles mandibulaires, la partie postérieure de la branche horizontale et la symphyse mandibulaire.
- Incidence de Blondeau : Visualise l’arc mandibulaire et les coronés, incidence de base en traumatologie maxillo-faciale.
- Incidence Maxillaire Défilé : Étudie la branche horizontale, les angles mandibulaires, les branches montantes et le condyle en vue latérale.
- Incidence de Schüller : Visualise la région condylienne.
- Incidence de Hirtz : Diagnostique les fractures zygomatiques.
- Tomographie : En bouche ouverte et fermée, met en évidence l’articulation temporo-mandibulaire.
- Tomodensitométrie (scanner) : Cliché idéal.
Les complications des fractures mandibulaires
Les complications immédiates
- Obstruction des voies aéro-digestives supérieures par glossoptose,
- Hématome par plaie des vaisseaux faciaux,
- Complications vasculaires par dissections artérielles,
- Saignements par lacération artérielle ou lésion vasculaire.
Les complications secondaires
- Infection sur foyer dentaire : cellulite, ostéite,
- Retard de consolidation et pseudo-arthrose,
- Névralgie ou anesthésie labio-mentonnière par lésion du nerf dentaire inférieur.
Les complications tardives
- Cals vicieux,
- Troubles occlusaux en cas de fractures mal réduites,
- Ankylose temporo-mandibulaire.
Le traitement des fractures mandibulaires
Buts du traitement
- Restauration de l’articulé dentaire, support de l’occlusion,
- Réduction anatomique parfaite du ou des foyers de fractures,
- Assurer le libre jeu mandibulaire.
Principes du traitement
- Restauration de la fonction masticatoire,
- Rééducation du jeu mandibulaire en cas de fractures articulaires.
Les moyens thérapeutiques
Le traitement médical
- Antibiothérapie : Systématique, avec les bêtalactamines comme antibiotiques de choix.
- Anti-inflammatoires : Prescrits en cas d’œdème associé.
- Antalgiques : À la demande, associés à une alimentation liquide hyperprotidique.
- Mise en état bucco-dentaire : Brossage, bains de bouche, extractions des racines restantes.
- Vaccination antitétanique : Vérifiée chez le patient.
Le traitement orthopédique
Techniques de réduction fermée et de blocage de la mandibule :
- Ligatures d’Ivy : Réalisées entre deux dents adjacentes solides, avec une boucle et des torsades pour fixer le fil.
- Arcs : Arcs métalliques fixés à chaque arcade dentaire par des ligatures (ex. : arc de Duclos).
- Brackets orthodontiques : En denture mixte, collés sur les faces vestibulaires de certaines dents.
Le traitement chirurgical
Réduction ouverte avec ostéosynthèse (fixateurs internes).
Indications
Les indications dépendent du type de fracture :
Fractures symphysaires
- Non déplacées : Blocage intermaxillaire avec arcs mandibulaires ou ligatures d’Ivy, maintenu pendant 45 jours.
- Déplacées : Réduction et blocage intermaxillaire avec arcs mandibulaires ou ostéosynthèse.
Fractures de la branche horizontale
- Blocage intermaxillaire par arcs et ligatures, maintenu 45 jours.
- Ostéosynthèse aux fils d’acier ou par plaque vissée en cas de déplacements importants.
- Chez l’enfant : Ostéosynthèse contre-indiquée en raison des germes dentaires.
- Chez l’édenté : Ostéosynthèse possible.
Fractures de l’angle mandibulaire
- Blocage intermaxillaire ou ostéosynthèse aux fils d’acier ou par mini-plaque vissée.
- Blocage intermaxillaire peut être associé à l’ostéosynthèse.
- Possible abstention thérapeutique en cas de non-déplacement.
Fractures de la branche montante
- Non déplacées : Blocage intermaxillaire pendant 45 jours.
- Déplacées : Ostéosynthèse aux fils d’acier avec blocage intermaxillaire (2-3 semaines) ou par plaque vissée.
Fractures condyliennes
Dépendent de la localisation :
- Articulaires (capitales et condyliennes) :
- Blocage intermaxillaire de courte durée (10 jours) avec tractions élastiques ou cale molaire.
- Mobilisation pour récupérer la fonction articulaire.
- Extra-articulaires (sous-condyliennes hautes et basses) :
- Traitement identique aux fractures de la branche montante.
- Gymnastique mandibulaire précoce.
Fractures du coroné
- Sans déplacement ni trouble occlusal : Antalgiques, anti-inflammatoires, kinésithérapie.
- Avec trouble occlusal : Blocage intermaxillaire de 15 jours.
Fractures condyliennes associées à une fracture de l’arc mandibulaire
- Traitement conditionné par la fracture condylienne.
- Certains préconisent une ostéosynthèse de l’arc mandibulaire pour permettre une mobilisation précoce.
Bibliographie
- Dia, M. Les fractures de la mandibule. À propos de 54 observations colligées au niveau du Service de Stomatologie du CHU Aristide le Dantec de Dakar. Thèse. Chir. Dentaire. Dakar. 1999.
- Rocton S. Fractures de la mandibule : épidémiologie, prise en charge thérapeutique et complications d’une série de 563 cas. Rev Stomatol Chir Maxillofac 2007;108:3-12.
- Frison L., Larbi A., Abida S., Goudot P., Yachouh J. Fractures de la mandibule. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Médecine buccale, 28-500-V-10, 2011.
Voici une sélection de livres:
- Guide pratique de chirurgie parodontale Broché – 19 octobre 2011
- Parodontologie Broché – 19 septembre 1996
- MEDECINE ORALE ET CHIRURGIE ORALE PARODONTOLOGIE
- Parodontologie: Le contrôle du facteur bactérien par le practicien et par le patient
- Parodontologie clinique: Dentisterie implantaire, traitements et santé
- Parodontologie & Dentisterie implantaire : Volume 1
- Endodontie, prothese et parodontologie
- La parodontologie tout simplement Broché – Grand livre, 1 juillet 2020
- Parodontologie Relié – 1 novembre 2005
Les fractures mandibulaires

Dr J Dupont, chirurgien-dentiste spécialisé en implantologie, titulaire d’un DU de l’Université de Paris, offre des soins implantaires personnalisés avec expertise et technologies modernes.