LES FRACTURES MANDIBULAIRES

LES FRACTURES MANDIBULAIRES

LES FRACTURES MANDIBULAIRES

Les Fractures Mandibulaires

Introduction

Les fractures de la mandibule occupent une place importante dans la pratique quotidienne en raison de leur fréquence. La position basse et projetée du squelette facial en fait un véritable pare-chocs. Ces fractures ont des répercussions variables, selon leur localisation, sur les fonctions et l’esthétique de la face. Le traitement vise à rétablir autant que possible ces deux aspects.

Définitions

  • Fracture : Solution de continuité brutale et accidentelle d’un os.
  • Fracture ouverte : Fracture avec effraction muqueuse ou cutanée, mettant le foyer de fracture en communication avec le milieu externe (les fractures des secteurs dentés sont considérées comme ouvertes).
  • Fracture fermée : Fracture sans effraction muqueuse ou cutanée.
  • Fracture totale : Intéresse toute l’épaisseur du corps osseux.
  • Fracture partielle : N’intéresse qu’une partie du corps osseux.
  • Fracture unifocale : À foyer unique.
  • Fracture plurifocale : À foyers multiples.

Étiologies

Plusieurs causes sont impliquées dans les fractures de la face :

Traumatique

  • Accidents de la voie publique (AVP).
  • Accidents de travail ou de sport.
  • Violences (rixes, agressions).
  • Chutes.

Iatrogènes

  • Extraction de dents de sagesse ou de canines incluses.
  • Exérèse de volumineux kystes.

Causes prédisposantes

  • Facteurs pathologiques : Ostéite, tumeur maligne, grand kyste, irradiation, ostéopathie.
  • Zones de faiblesse : Col du condyle, angle à travers l’axe de la dent de sagesse, axe de la canine, présence de germes dentaires.

Étiopathogénie

L’os mandibulaire peut se fracturer sous l’influence de :

  • Choc direct : La fracture se produit au point d’impact du traumatisme.
  • Choc indirect : La fracture se produit à distance du point d’impact, généralement dans les zones de moindre résistance.
LES FRACTURES MANDIBULAIRES

Les déplacements des fractures dépendent de :

  • L’énergie du choc.
  • La direction du choc.
  • Le nombre et la direction des traits de fracture.
  • L’action des muscles masticateurs.
  • La présence ou l’absence de dents.

Types de déplacement

  • Décalage (plan vertical) : En marche d’escaliers.
  • Chevauchement ou écartement (plan horizontal) : Raccourcissement de l’arc mandibulaire, avec déviation du point inter-incisif du côté fracturé.
  • Angulation (plan frontal) : Plicature de l’arc mandibulaire au niveau du foyer.
  • Torsion (plan frontal) : Combinaison fréquente des trois types de déplacement sur le plan clinique.

Démarche Diagnostique

Lever l’urgence

Évaluer les fonctions vitales pour prévenir et traiter les urgences mettant en jeu le pronostic vital :

  • Dégager les voies aérodigestives supérieures (sang, débris alimentaires, dentaires ou prothétiques).
  • Mettre le blessé en position latérale de sécurité (PLS) tout en maintenant la rigidité cervicale en cas de suspicion de lésion cervicale.
  • Si nécessaire, utiliser :
  • Canule de Mayo ou de Guédel.
  • Traction sur la langue.
  • Intubation oro- ou nasotrachéale.
  • Trachéotomie si nécessaire.
  • Arrêter l’hémorragie (réduction de la fracture, ligature vasculaire, suture des plaies, tamponnement nasal).

Ces gestes, initiés sur le lieu de l’accident, doivent être poursuivis pendant le transport médicalisé (SAMU), puis relayés par le service des urgences de l’hôpital sous la responsabilité d’un chirurgien et d’un anesthésiste-réanimateur.

Examen clinique

L’examen repose sur une évaluation exobuccale et endobuccale, débutant par l’anamnèse. En cas de suspicion de fracture, un bilan radiologique complète systématiquement l’examen clinique.

Interrogatoire

  • Préciser les circonstances de l’accident : heure, point d’impact.
  • Âge, état général, traitements en cours.
  • Notion de perte de connaissance.
  • Signes fonctionnels : douleur, gêne à la fermeture buccale, troubles respiratoires, troubles oculaires.

Inspection

Souvent difficile en raison de l’œdème et de la douleur, elle peut révéler :

  • Ecchymose ou plaie cutanée.
  • Béance.
  • Asymétrie faciale.
  • Troubles de l’articulé dentaire.
  • Plaies muqueuses ou lésions dentaires.

Palpation

Recherche de :

  • Points douloureux ou irrégularités osseuses.
  • Signes directs de fracture :
  • Déplacements osseux.
  • Mobilités des fragments.
  • Points douloureux électifs au niveau du point d’appui ou à distance.
  • Discontinuité d’un rebord osseux (« marche d’escalier »).
  • Disjonction craniofaciale (mobilité anormale du maxillaire supérieur par rapport aux pommettes ou au front).
  • Intégrité, mobilité et vitalité de chaque dent.

Examen régional

  • Examen ophtalmologique.
  • Examen ORL.
  • Examen neurologique.

Examens radiologiques

Indispensables et complémentaires, ils confirment ou infirment le diagnostic clinique et recherchent d’autres lésions associées.

Radiographie panoramique

Cliché de référence pour analyser l’architecture osseuse mandibulaire et les portions dentées.

Clichés standards

  • Profil strict.
  • Incidence de Blondeau.
  • Incidence de Hirtz.
  • Éventuellement clichés rétroalvéolaires ou occlusaux.

Tomodensitométrie (TDM)

  • Indiquée en première intention chez le polytraumatisé pour un bilan lésionnel complet.
  • Acquisition rapide d’images avec reconstructions multiplans et tridimensionnelles de haute qualité.

Photographies et empreintes dentaires

  • Photographies : Pré- et postopératoires, de face, de profil, en vue plongeante, de trois quarts, bouche ouverte et fermée. Fournissent des données utiles pour la prise en charge thérapeutique et médico-légale.
  • Empreintes dentaires : Modèles d’étude en plâtre des arcades dentaires. Leur réalisation peut être difficile en raison des lésions, douleurs, œdèmes ou trismus.

Étude Clinique

Fractures partielles

Fractures du rebord alvéolaire

  • Fréquentes chez l’enfant après une chute.
  • Clinique :
  • Plaie de la lèvre inférieure avec hémorragie.
  • À l’examen endobuccal :
    • Fracture avec déplacement.
    • Groupe incisif ou incisivo-canin projeté en dedans.
    • Plaies gingivales.
    • Hémorragies possibles.
  • Diagnostic confirmé par la palpation (prise entre pouce et index de la région fracturée) et radiographie.

Fracture de l’apophyse coronoïde

  • Trait de fracture généralement à la base du coroné, souvent dû à un traumatisme latéral.
  • Clinique :
  • Douleurs à l’ouverture et à la fermeture.
  • Léger trismus.
  • Latérodéviation.
  • Douleur déclenchée à la palpation (index au fond du vestibule buccal).
  • Souvent associée à des fractures sous-condyliennes ou de l’arcade zygomatique.

Fractures totales

Fractures totales unifocales

Fractures de la région dentée
Fractures symphysaires et parasymphysaires
  • Causées par un choc violent direct sur le menton ou latéral.
  • Localisées entre les faces distales des canines, avec un trait médian, paramédian, oblique ou vertical, souvent le long de la canine.
  • Déplacement :
  • Trait médian : Peu ou pas de déplacement (équilibre musculaire).
  • Trait paramédian : Décalage et lingoversion d’un fragment.
  • Clinique :
  • Sans déplacement : Diagnostic difficile, déchirure muqueuse gingivale, signes fonctionnels discrets.
  • Avec déplacement : Signes fonctionnels marqués, irrégularité du rebord basilaire à la palpation.
Fractures de la branche horizontale
  • Causées par un choc direct, localisées entre la première prémolaire et la deuxième molaire.
  • Stabilité dépendante de l’orientation du trait.
  • Clinique :
  • Béance incisive.
  • Latérodéviation du point inter-incisif du côté fracturé.
  • Occlusion en deux temps avec contact molaire prématuré du côté fracturé.
  • Signe de Vincent fréquent.
  • Ressaut douloureux à la palpation du rebord basilaire.
Fractures de l’angle mandibulaire
  • Région limitée par la ligne horizontale du trigone rétromolaire et la face distale de la deuxième molaire.
  • Facteur favorisant : Dent de sagesse incluse.
  • Trait oblique en bas et en arrière, dû à un choc direct ou indirect sur le menton.
  • Déplacement minime, moins marqué que dans les fractures précédentes.
  • Clinique :
  • Sans déplacement : Œdème, douleur, trismus.
  • Avec déplacement : Décalage du point inter-incisif du côté fracturé, béance postérieure controlatérale.
  • Atteinte fréquente du nerf dentaire inférieur.
Fractures de la région non dentée
Fractures de la branche montante
  • Région de l’angle mandibulaire aux apophyses condylienne et coronoïde.
  • Déplacement :
  • Trait horizontal : Peu de déplacement, parfois chevauchement avec raccourcissement.
  • Trait vertical : Déplacement minime.
Fractures du condyle

  • Principalement dues à des chocs indirects (menton ou côté controlatéral).
  • Types :
  • Fractures intra-articulaires : Sous-condyliennes hautes, fractures capitales.
  • Fractures extra-articulaires : Basicervicales (sous-condyliennes basses, les plus fréquentes).
  • Fractures extra-articulaires :
  • Trait oblique d’avant en arrière.
  • Déplacement : Chevauchement avec bascule du fragment en avant et en dehors, ou luxation de la tête condylienne.
  • Fractures intra-articulaires :
  • Sous-condyliennes hautes : Bascule de la tête condylienne en avant et en dedans.
  • Fractures capitales :
    • Partielle.
    • Complète (décapitation).
    • Éclatement (plusieurs traits).
  • Clinique :
  • Sans déplacement : Douleurs préauriculaires, limitation de l’ouverture buccale, latérodéviation légère.
  • Avec déplacement : Douleurs prétragiennes, vacuité glénoïde, trismus, latérodéviation, décalage inter-incisif, béance controlatérale, possible otorragie.

Fractures bifocales

Fractures symétriques
  • Biparasymphysaires :
  • Fréquentes chez les motards (choc sur le menton).
  • Déplacement vers le bas et en arrière, risque de glossoptose et détresse respiratoire.
  • Biangulaires :
  • Recul de la partie dentée, béance de l’arcade, contact postérieur limité.
  • Bicondyliennes :
  • Souvent hautes, recul mandibulaire, contact molaire, béance incisive.
Fractures asymétriques
  • Associations fréquentes :
  • Parasymphysaire ou branche horizontale + angle ou condyle controlatéral.
  • Angle + condyle controlatéral.

Fractures trifocales

  • Associées à la symphyse et aux deux condyles ou aux deux angles.
  • Élargissement et recul de l’arc mandibulaire.

Fractures particulières

Fractures comminutives
  • Plurifragmentaires, avec possibles pertes de substance.
  • Typiques des traumatismes balistiques, accidents de la route ou chutes de grande hauteur.
Fractures chez l’enfant
  • Naissance à 1 an : Plasticité osseuse, traumatismes minimes.
  • 1 à 6 ans : Fragilité condylienne, fractures incomplètes, germes dentaires fragilisants.
  • 6 à 12 ans : Denture mixte, traumatismes alvéolo-dentaires fréquents, secteur incisif maxillaire concerné.
Fractures chez l’édenté
  • Perte osseuse alvéolaire, fragilisation mandibulaire, déplacements favorisés.
Fractures pathologiques
  • Sur tissu osseux fragilisé par :
  • Tumeurs bénignes (kystes, améloblastomes).
  • Tumeurs malignes (sarcomes).
  • Pathologies générales (ostéoporose).
  • Infections ou ostéoradionécrose.
  • Compliquent la prise en charge et retardent la consolidation.

Traitement

Traitement d’urgence

Priorité au pronostic vital via les gestes ABC :

A : Airway

  • Dégager les voies aérodigestives supérieures.
  • Position latérale de sécurité avec rigidité cervicale.

B : Breathing

  • Maintenir la liberté des voies aériennes :
  • Canule de Mayo/Guédel, traction linguaire, intubation, trachéotomie si nécessaire.
  • Ventilation artificielle si besoin.

C : Circulation

  • Arrêter l’hémorragie (réduction, ligature, sutures, tamponnement).
  • Traiter l’état de choc (voie veineuse centrale).

Traitement médical

  • Antibiotiques.
  • Anti-inflammatoires (AINS ou corticoïdes).
  • Antalgiques.
  • Vaccination antitétanique.
  • Hygiène bucco-dentaire.
  • Alimentation liquide ou semi-solide.

Traitement dentaire

  • Dents utiles : Servant de cale ou guide occlusal.
  • Dents nuisibles : Cariées, fracturées, gênant la réduction (à extraire).
  • Dents indifférentes : Incluses ou sans antagonistes.
  • Dents proches du trait : Surveillance de la vitalité.

Traitement de la fracture

Objectifs

  • Rétablir la continuité osseuse.
  • Respecter l’anatomie.
  • Sauvegarder l’esthétique et la fonction.

Règles thérapeutiques

  • Réduction.
  • Contention.
  • Immobilisation.
  • Rééducation.

Moyens

Procédés fonctionnels
  • Alimentation adaptée.
  • Mobilisation prudente avec surveillance.
  • Mécanothérapie (méthode de Delaire).
Procédés orthopédiques
  • Réduction : Manuelle ou orthopédique (arcs sectionnés solidarisés).
  • Contention : Ligatures, arcs métalliques, gouttières avec fronde mentonnière, ou procédés chirurgicaux.
  • Immobilisation : Blocage bimaxillaire (BBM) pour limiter les mouvements musculaires.
Procédés chirurgicaux
  • Ostéosynthèse par fils ou plaques vissées.

Indications thérapeutiques

  • Fractures symphysaires : BBM (4-6 semaines) ou ostéosynthèse.
  • Fractures de la branche horizontale : BBM (45 jours).
  • Fractures angulaires :
  • Sans déplacement : BBM.
  • Avec déplacement : Ostéosynthèse.
  • Fractures du ramus :
  • Sans déplacement : Abstention.
  • Avec déplacement : Réduction + BBM (45 jours).
  • Fractures condyliennes :
  • Orthopédique :
    • Avec déplacement : Cale molaire + tractions élastiques (BBM bouche ouverte 24-72h, puis fermée).
    • Sans déplacement : BBM (21 jours) + mécanothérapie.
  • Fonctionnelle (Delaire) : Mobilisation précoce en propulsion.
  • Fractures du coroné :
  • Abstention.
  • Si gêne fonctionnelle : Coronoidectomie.

Complications

Complications immédiates

  • Asphyxie (glossoptose, obstruction des voies aériennes).
  • Hémorragie.
  • Perte de connaissance (passagère ou prolongée, compliquant la prise en charge).
  • Lésion nerveuse.

Complications secondaires

  • Infections :
  • Cellulites des parties molles.
  • Ostéites (mauvaise hygiène buccale, infections dentaires latentes, mortification post-traumatique).
  • Retard ou défaut de consolidation :
  • Foyer douloureux/mobile après 2 mois.
  • Pseudarthrose après 6 mois (décalcification ou ostéocondensation radiologique).
  • Cal vicieux : Consolidation en mauvaise position.
  • Complications articulaires :
  • Arthrose post-traumatique.
  • Dysfonctionnement manducateur.
  • Ankylose temporomandibulaire, surtout chez l’enfant (constriction des mâchoires, atrophie mandibulaire, asymétrie faciale, rétromandibulie).

Conclusion

Le diagnostic précoce des fractures mandibulaires, notamment condyliennes, repose sur un interrogatoire orienté et une interprétation rigoureuse des examens radiologiques. C’est la clé d’une prise en charge adéquate, permettant d’éviter des complications graves aux conséquences lourdes.

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LES FRACTURES MANDIBULAIRES

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