Les Adhésifs et leurs Mécanismes d’Adhésion – Biomatériaux Dentaire
Introduction
Les systèmes adhésifs dentaires ont évolué dans leur chimie, mécanisme, nombre d’étapes, techniques d’application et performance clinique. En outre, la recherche s’est focalisée sur la simplification de la procédure et la réduction du nombre d’étapes d’application afin de minimiser le temps de manipulation et la sensibilité de la technique, améliorant ainsi l’efficacité de la liaison.
Les adhésifs amélo-dentinaires sont des biomatériaux d’interfaces. Ils contribuent à former un lien idéalement adhérant et étanche entre les tissus dentaires calcifiés et des biomatériaux de restauration ou d’assemblage. Hormis les ciments verre-ionomères, leurs dérivés et quelques rares colles auto-adhésives, tous les biomatériaux employés en dentisterie restauratrice et en prothèse fixe requièrent leur emploi. Leurs champs d’indication est donc bien établi et leur apport à l’essor de thérapeutiques plus conservatrices, plus esthétiques et plus biocompatibles est tellement évident qu’il ne se discute plus aujourd’hui (Roulet & Degrange 2000). Les problèmes que posent ces produits relèvent de leur efficacité immédiate et dans la durée. Cette efficacité dépend principalement de leur mise en œuvre, car la technique adhésive s’avère très sensible à la manipulation. Bien les employer, bien les exploiter requiert au préalable de bien connaître leurs mécanismes d’action.
Les monomères qu’ils contiennent sont susceptibles de pénétrer les microrugosités de l’émail et de la dentine avant de se lier par polymérisation au matériau de restauration (généralement un composite). Leur infiltration nécessite une attaque acide préalable ou simultanée à leur application sur les deux tissus. Après prise, ils contribuent à former une interphase mixte tissus-biomatériaux (Nakabayashi et coll. 1982). La principale composante de cette adhésion est donc d’ordre micromécanique, voire nano-mécanique. En réalité, leur mode de liaison est un phénomène plus complexe qui implique des contributions tant physico-chimiques que chimiques. Sur le plan physico-chimique, ces produits doivent mouiller puis s’infiltrer le plus parfaitement possible les microporosités des substrats. Par ailleurs, une étude récente a montré que les groupements fonctionnels de certains monomères étaient susceptibles de former des liaisons chimiques primaires notamment avec le calcium de l’hydroxyapatite (Yoshida et coll. 2004).
Terminologie
Adhésion
- Selon le dictionnaire : « Force qui s’oppose à la séparation de deux corps mis en contact par leurs surfaces. »
- Définition technique : C’est l’interaction qui lie deux matériaux de natures différentes mis en contact intime.
Adhérence
- Selon le dictionnaire : « Le fait pour une chose d’adhérer à une autre. »
- Figure 1 : Force nécessaire de séparation.
- Définition technique : C’est la force ou l’énergie de séparation d’un assemblage collé.
Adhésif
C’est un polymère destiné au collage des matériaux de restauration sur la dent.
Cohésion
- Selon le dictionnaire : « Ensemble des forces qui unissent les molécules d’un même corps. »
- Définition technique : C’est l’attraction entre atomes ou molécules d’une même substance.
Collage
Terme englobant les mécanismes d’adhésion comme l’adhésion mécanique et chimique.
Les Modes d’Adhésion
Ancrage Mécanique
C’est la rétention que procure un matériau de scellement ou de collage après durcissement dans les rugosités du substrrium.
Liaisons Chimiques et Intermoléculaires
On distinguera deux types de liaisons :
- Liaisons fortes : Ce sont les liaisons covalentes ou ioniques intervenant sur de très courtes distances, très difficiles à séparer (liaisons silaniques avec les verres).
- Liaisons intermoléculaires : Regroupent les forces de Van Der Waals et les liaisons hydrogènes. Elles sont faibles et interagissent sur de plus grandes distances.
Composition d’un Adhésif Amélo-Dentinaire
Les systèmes adhésifs amélo-dentinaires reposent sur trois constituants :
Acide de Mordançage
Il conditionne simultanément la dentine et l’émail avec un gel coloré d’acide orthophosphorique à 37 %, pendant 30 secondes pour l’émail et 15 secondes pour la dentine.
Primaire ou Primer
Les primaires jouent un rôle majeur dans le processus d’adhésion à la dentine, ils permettent soit de maintenir suffisamment poreux le réseau de collagène, soit de permettre sa ré-expansion s’il a été collapsé lors du séchage.
Résine Adhésive
Il s’agit d’une résine à base de BisGMA ou de diméthacrylate-uréthane. La résine doit être polymérisée avant l’insertion du composite afin de ne pas être déplacée. Le rôle de la résine adhésive est d’amortir les contraintes mécaniques en absorbant les tensions inhérentes à la contraction de polymérisation.
Indications
- Collage des restaurations au composite.
- Collage des facettes céramiques.
- Scellement des sillons et des puits.
- Scellement des tenons en endodontie.
- Contre-indication : Au contact direct de la pulpe.
Classification des Adhésifs Amélo-Dentinaires
Classification Historique
Comporte 7 générations :
- À partir de la 2ème génération, la notion du mordançage a été introduite et intéressait seulement l’émail.
- 4ème génération : Dans cette génération, la notion du total etching a été introduite (émail + dentine). Cette génération met en jeu 3 étapes.
1952-1982 : Période des Pionniers
La recherche d’une adhésion à la dentine efficace est une quête constamment poursuivie depuis un demi-siècle. L’histoire de l’adhésion aux tissus dentaires commence au début des années 50. À cette époque, les résines acryliques sont proposées comme alternative aux ciments d’obturation à base de silicates pour les restaurations à caractère esthétique. Si ces résines apportent un plus en termes de mise en œuvre, de résistance et de qualité optiques, elles forment un joint de qualité médiocre avec les parois cavitaires. Il y a plusieurs raisons à cela. La résine acrylique n’a aucun potentiel spécifique d’adhésion aux tissus dentaires. Elle a un retrait de prise conséquent (> à 6 % en volume) et présente par ailleurs un grand écart dilatométrique avec la dent (90 ppm/°C contre 10 ppm/°C). Tous ces éléments concourent à la percolation des fluides buccaux aux interfaces cavitaires avec pour conséquences l’agression pulpaire et la coloration des bords de l’obturation. Il s’agissait donc de rechercher tout moyen susceptible d’ancrer ce matériau aux marges des cavités.
Le chimiste suisse dépose le premier brevet d’un adhésif à usage dentaire (Hagger 1951). Ce produit, qui sera commercialisé sous le nom de Sevriton, contenait déjà un monomère réactif, le di-méthacrylate de l’acide glycérophosphorique (GPDM) associé à un mode de chimio-polymérisation efficace en milieu acide. Kramer & Mac Lean publient en 1952 la première exploitation du brevet de Hagger. Il est amusant de constater que ces auteurs, observant l’interface dentine-Sevriton avec des méthodes de l’histologie optique, ont identifié une couche intermédiaire entre le tissu et le matériau qu’ils ont nommé « intermediate layer ». En fait, ils avaient mis en évidence pour la première fois la couche hybride ! Il faudra attendre 30 ans pour voir décrits le concept et l’intérêt de la couche hybride pour l’adhésion à la dentine (Kramer & Mac Lean, 1952). Un an après avoir proposé le principe du mordançage de l’émail qui le rendra célèbre, Buonocore publie en 1956 les résultats d’une expérimentation portant sur l’adhésion dentinaire d’un mélange contenant le même GPDM, après mordançage de la dentine à l’acide chlorhydrique. Ses résultats sont décevants avec une adhérence de 3 MPa (Buonocore et coll. 1956). Masuhara et Bowen feront également des propositions pour améliorer l’adhésion aux tissus dentaires, soit par le biais de systèmes d’amorçage de polymérisation, soit par le biais de nouveaux monomères fonctionnels (Masuhara et coll. 1963, Bowen 1965). Toutes ces formulations décrites à l’époque restèrent confidentielles ou peu diffusées. Curieusement, on retrouve dans certains systèmes adhésifs modernes, des éléments de ces propositions. C’était la période d’incubation.
1980-1985 : 2ème Génération – Les Esters Méthacryliques de l’Acide Phosphorique
À la fin des années 1970, l’utilisation sans cesse croissante des composites rend nécessaire d’optimiser l’adhésion et l’étanchéité à la dentine pour une meilleure longévité. L’école japonaise, qui a déjà accepté le concept du mordançage total contrairement aux pays occidentaux, est particulièrement innovante. Takeyama introduit le monomère 4-META en 1978 et Fusayama propose en 1979 le Phenyl P (Fusayama et coll., 1979, Atsuta et coll. 1982). Au début des années 80, 3M prend le brevet en 1982 d’un nouvel agent de couplage où des groupements chloro-phosphores sont greffés sur un monomère dérivé du Bis-GMA ; ce sera la base du premier Scotchbond. Aux États-Unis et en Europe, on voit apparaître une série d’adhésifs présentant tous une fonction terminale phosphate acide. Ce sont les produits de 2e génération. La dentine ne subit aucun traitement préalable à leur application. Le potentiel d’adhérence dentinaire de ces produits s’avère cependant encore faible (5 MPa) et très inférieur à la rétention procurée par l’émail mordancé (15-20 MPa). En fait, cette valeur de 5 MPa ne correspondait qu’à l’adhérence de la boue dentinaire sur la dentine (Tao & Pashley, 1988).
1985-1991 : 3ème Génération – Introduction de la Notion de Système Adhésif
La 3e génération correspond au développement du concept du système adhésif. C’est une association de plusieurs produits. La résine adhésive est couplée à une ou plusieurs solutions qui sont appliquées préalablement pour stabiliser les boues dentinaires et faciliter leur mouillage et leur infiltration sur les parois cavitaires. Cette génération est représentée par 3 produits majeurs : Tenure (Den Mat) dérivé d’une proposition de Bowen en 1982, Gluma Bond (Bayer) issu des travaux de Munskgaard et Asmussen, et Scotchbond 2 (3M) (Bowen 1982, Munsgaard & Asmussen 1984). Ces systèmes ont permis d’élever la valeur moyenne de l’adhérence à la dentine, dans une fourchette de 8 à 12 MPa.
1990 : 4ème Génération – Reconnaissance du Concept du Mordançage Total
La quatrième génération est fondée sur le concept du mordançage simultané de l’émail et de la dentine. Au niveau de la dentine, l’attaque acide permet d’éliminer l’essentiel de la boue et génère une déminéralisation du substrat sur une profondeur de quelques microns. Le but de ce traitement est de permettre la pénétration d’une résine adhésive à la fois dans les tubules et à l’intérieur du réseau de fibrilles protéiques dégagé par le mordançage dans les espaces inter et péri-tubulaires. C’est le principe d’adhésion micromécanique de la couche hybride et des brides décrit par Nakabayashi en 1982 (Nakabayashi et coll., 1982). Il a fallu un profond changement d’esprit en Occident, pour accepter ce qui est aujourd’hui une évidence. La boue dentinaire était alors considérée comme une barrière s’opposant à la diffusion des microorganismes et des produits agressifs vers la pulpe. Kanca et Bertolotti ont été probablement les moteurs de cette révolution d’idée (Kanca 1990, Kanca 1991, Bertolotti 1992).
Les systèmes de la quatrième génération mettent en jeu plusieurs étapes, généralement trois : la première est un mordançage acide de la surface dentinaire ; la seconde consiste à favoriser le mouillage et la pénétration de la surface traitée à l’aide de ce qu’on appelle un primaire ; la troisième c’est l’infiltration d’une résine adhésive qui doit copolymériser avec le composite. L’adhésif, après prise, doit assurer l’ancrage et l’étanchéité de la restauration. All Bond, développée par B. Suh, est le premier système caractéristique de cette génération qui a été largement commercialisé (Suh 1991). Bien d’autres produits ont suivi cette voie : Optibond, puis Optibond FL (Kerr), Scotchbond Multi-Purpose (3M), Clearfil Liner Bond (Kuraray), Syntac (Vivadent), etc. L’apport clinique des adhésifs de 4e génération a été considérable. C’est l’avènement d’une nouvelle ère de dentisterie adhésive plus fiable, peu mutilante et plus esthétique. La quasi-totalité de ces systèmes est encore aujourd’hui sur le marché dentaire. Mais la mise en œuvre des trois étapes du collage a été ressentie par l’omnipraticien comme trop longue et trop contraignante. Bien que l’ensemble des stades du collage ne dure pas plus de deux minutes, il s’avère nécessaire pendant ce laps de temps de contrôler la qualité du champ opératoire et l’absence de contamination. La digue, qui permettrait de pallier ce problème, est peu utilisée en pratique quotidienne, c’est un fait. Il s’agissait donc pour l’industrie de développer des produits adhésifs plus simples et plus rapides de mise en œuvre.
1995 : 5ème Génération
Au milieu des années 90, des systèmes adhésifs plus simples sont introduits sur le marché dentaire. Ils regroupent en un seul flacon ce qui était présent dans les systèmes précédents dans deux conditionnements différents : le primaire et la résine adhésive. Ils nécessitent toujours un mordançage préalable à l’acide phosphorique. Le concept fondamental du collage à la dentine reste inchangé. S’ils sont plus rapides et apparemment plus simples d’emploi, leur pénétration requiert que la surface de dentine déminéralisée présente une certaine humidité résiduelle pour être suffisamment perméable. Ils contiennent tous des monomères hydrophiles. Ils renferment tous des solvants organiques et parfois un peu d’eau. Solvants et monomères hydrophiles contribuent à améliorer l’infiltration de l’adhésif.
1995 : 6ème Génération – L’Auto-Mordançage par des Monomères
Une autre évolution est conduite en parallèle à la précédente. C’est celle des adhésifs auto-mordançants développés principalement par l’industrie japonaise. Le premier système de cette catégorie est Clearfil Liner Bond 2 (Kuraray) (Sano et coll. 1994). Dans cette classe, ce sont les deux premières étapes du collage qui sont réunies en une seule : le mordançage et le primaire. L’agent de mordançage n’est plus un acide minéral ou organique classique. On exploite l’acidité de certains monomères qui sont aptes à déminéraliser et infiltrer simultanément les tissus dentaires calcifiés. L’emploi de ces primaires acides n’est donc pas suivi de rinçage, puisque ce sont les monomères qu’ils contiennent qui vont secondairement contribuer à la copolymérisation. Leur application est suivie de celle d’une résine adhésive classique à caractère plus hydrophobe capable d’assurer un bon degré de copolymérisation avec le composite.
2000 : 7ème Génération – Les Adhésifs “Tout en Un”
Ces produits regroupent en un seul conditionnement ou en un seul mélange les 3 étapes du collage. Ils sont théoriquement susceptibles de mordancer et d’infiltrer émail et dentine tout en formant une couche de résine apte à s’unir au composite par photopolymérisation. C’est l’ultime simplification de la procédure de collage en attendant le biomatériau autoadhésif. Ce sont des mélanges complexes qui contiennent des monomères hydrophiles à caractère acide avec suffisamment d’eau pour permettre leur ionisation. Ils renferment aussi des monomères hydrophobes qui sont indispensables pour obtenir une bonne réaction de polymérisation avec les matrices des composites. Ils ont également des solvants organiques comme autre constituant. Cette classification, à l’origine historique, a pris un caractère « marketing » depuis une décennie. En effet, si les 4 dernières générations présentent quelques singularités, elles répondent toutes du même principe fondamental. Par ailleurs, la notion de génération ne prend ni en compte les principes d’action des adhésifs, ni leurs performances et il n’apparaît pas évident que chaque génération représente un apport thérapeutique par rapport à celle qui la précède. Cela peut expliquer la présence des 4 dernières d’entre elles sur le marché dentaire aujourd’hui. Il est donc nécessaire d’avoir recours à une classification plus rationnelle.
Classification Moderne
Elle est basée sur des principes d’action des différents systèmes adhésifs et sur le nombre de séquences d’applications. On distinguera 2 grandes classes d’adhésifs :
- Produits nécessitant un mordançage suivi d’un rinçage (M&R).
- Produits appliqués directement sur les surfaces dentaires sans traitement préalable (SAM – systèmes auto-mordançants).
On peut distinguer dans chacune de ces classes, deux subdivisions selon le nombre de séquences de mise en œuvre : M&R III, M&R II, SAM II et SAM I.
Critères Requis d’une Adhésion Durable
Respect du Protocole Opératoire
- L’utilisation de la digue s’avère nécessaire pour éliminer tout risque de contamination salivaire afin de travailler dans un milieu aseptique et sec.
- Respecter l’enchaînement et le protocole de mise en œuvre de chaque système adhésif.
- Respecter le taux de concentration de l’acide orthophosphorique et le temps de mordançage au niveau de l’émail et de la dentine.
- Rincer abondamment après chaque application de l’acide mordançant, durant un temps au moins égal à celui de son application.
- Sécher délicatement car un séchage intensif empêche la formation de la couche hybride et augmente le risque de douleurs post-opératoires.
- tooling une bonne polymérisation après application de l’adhésif.
Biocompatibilité
La première qualité est incontournable : c’est une biocompatibilité. Un adhésif ne devrait pas induire de réaction néfaste ni pour son utilisateur, ni pour son destinataire. Idéalement, il ne doit pas être allergisant ni toxique. Il ne doit pas avoir de potentiel mutagène. Tous les adhésifs actuels possèdent des terminaisons méthacryliques qui sont le siège de leur polymérisation. Les doubles liaisons C=C possèdent un potentiel allergisant non négligeable. L’effet est plus conséquent pour les praticiens que les patients. Une enquête conduite au Danemark a montré que 1,7 % des dentistes présentaient une allergie aux acryliques (Munskgaard et coll., 1996). À ce titre, les gants en latex, qui sont eux-mêmes sensibilisants, n’offrent qu’une protection très temporaire compte tenu de leur perméabilité à certains monomères (Munskgaard, 1992).
Sur un plan plus local, un adhésif ne doit pas être cytotoxique pour la pulpe. Idéalement, il devrait promouvoir la cicatrisation dentino-pulpaire. Si un certain nombre d’études in vitro ont mis en évidence un potentiel cytotoxique des adhésifs (Camps et coll. 1997, Bouillaguet et coll. 1998), leur comportement in vivo apparaît au contraire favorable à la cicatrisation pulpaire, à la double condition qu’ils ne soient pas employés comme matériaux de coiffage direct et qu’ils assurent une interface étanche à la pénétration des fluides buccaux et des bactéries qu’ils contiennent (Demarco et coll. 2001, Mjor 2002).
Adhésion et Étanchéité
Un adhésif doit avant tout coller. Il doit assurer de manière immédiate un joint adhérent suffisamment fort pour s’opposer aux contraintes de polymérisation du composite qu’on applique à sa surface. Par ailleurs, comme la mise en fonction d’une restauration suit directement le traitement, ce joint doit présenter une résistance précoce suffisante particulièrement lorsque la rétention est faible et que l’essentiel de la tenue est assuré par le collage. Il est habituellement admis qu’il doit être étanche à l’échelle du micromètre qui est celle de la bactérie. En fait, c’est à une dimension bien plus faible (celle du nanomètre) que l’interface adhésif-tissus dentaires doit s’établir pour éviter la pénétration de fluides générateurs de sensibilités postopératoires.
Durabilité
Les qualités d’adhérence et d’étanchéité doivent non seulement être immédiates mais durables pour éviter les colorations marginales, les caries récurrentes, les sensibilités, voire la perte de la restauration qui sont autant de phénomènes de dégradation limitant la longévité des traitements. Au niveau des marges amélaires, ce critère apparaît bien établi depuis longtemps non pas en raison des qualités intrinsèques des adhésifs, mais par le biais du mordançage avec des solutions d’acide phosphorique. Au niveau de la dentine, plusieurs études récentes mettent en évidence in vitro et in vivo, une détérioration de la zone profonde de la couche hybride dont les mécanismes seront évoqués plus loin (Sano et coll. 1995, Hashimoto et coll. 2000).
Simplicité et Fiabilité de Mise en Œuvre
Dans l’emploi d’un adhésif, tout praticien devrait idéalement pouvoir espérer des résultats thérapeutiques fiables et reproductibles. Ce n’est pas le cas actuellement car la technique adhésive est très sensible à la manipulation. De petits écarts dans la procédure de mise en œuvre sont susceptibles de compromettre la durabilité du collage. Ce problème sera abordé en détail.
Mécanismes d’Action des Différents Systèmes
Après fraisage, les surfaces d’une préparation sont recouvertes d’une couche de boue formée des débris d’usinage. En anglais, elle est appelée « smear layer ». Cette couche poreuse et hétérogène est un agglomérat d’hydroxyapatite et de protéines. Elle contient également des bactéries. Son épaisseur est variable selon la granularité des instruments rotatifs employés (1 à 3 μm en moyenne). Quel que soit le système adhésif, la procédure de collage commence par un traitement acide pour l’éliminer ou la stabiliser. Ce traitement acide affecte au-delà de cette couche, la surface de l’émail et de la dentine pour créer des microrugosités et des microporosités propices à l’infiltration de monomères qui, après polymérisation, formeront une interphase adhérente et idéalement étanche entre les tissus dentaires et le biomatériau de restauration.
Schématiquement, il s’agit de substituer à l’hydroxyapatite déminéralisée ou éliminée de la résine. La principale composante de l’adhésion aux tissus dentaires est donc principalement micromécanique. Toutefois, des interactions chimiques additionnelles peuvent contribuer également à la liaison lorsque l’adhésif contient certains monomères fonctionnels capables de s’unir notamment à l’hydroxyapatite (Yoshida et coll, 2004). Cette composante chimique, dont l’effet à court terme est masqué par la ténacité de l’ancrage micromécanique, pourrait jouer un rôle non négligeable dans le potentiel d’adhérence de certains adhésifs auto-mordançants faiblement acides et dans la longévité des joints collés.
Les Systèmes avec Mordançage Préalable et Rinçage (M&R)
Les Systèmes M&R III
Ces systèmes regroupent plusieurs produits qui sont appliqués successivement sur les parois cavitaires. D’une manière générale, le traitement se fait en trois séquences :
Le Mordançage
La première consiste à appliquer une solution ou un gel, généralement d’acide phosphorique. Le temps d’application moyen est de 30 secondes au niveau de l’émail et 15 secondes sur la dentine. Ces durées peuvent être légèrement variables en fonction du pH et de la concentration de l’acide. Après rinçage, on obtient sur l’émail les classiques faciès propices à l’ancrage micromécanique de l’adhésif. Il est souhaitable d’employer des gels d’acide phosphorique dont la concentration est supérieure à 20 % pour contrôler visuellement l’efficacité du mordançage sur l’émail qui présente, après rinçage et séchage, un aspect blanc mat crayeux.
Au niveau des surfaces dentinaires, l’attaque acide élimine l’essentiel des boues dentinaires, ouvre les orifices tubulaires, et déminéralise superficiellement les zones péri et inter-tubulaires sur une profondeur d’un à quelques μm. Cette zone superficielle de dentine est constituée d’un réseau de fibrilles de collagène entrelacées et dispersées dans l’eau du rinçage. On peut estimer que la zone de dentine traitée est constituée d’un peu plus d’un quart de collagène et de presque trois quarts d’eau. La surface traitée est donc principalement hydrophile, ce qui pose un problème pour y infiltrer une quantité suffisante de monomères méthacryliques hydrophobes nécessaires à l’obtention d’une bonne copolymérisation avec le biomatériau de restauration. En effet, l’évaporation de l’eau du rinçage par séchage entraîne à ce stade une fusion des fibrilles protéiques. La surface collapsée devient compacte et non propice à la pénétration de la résine.
Le Primaire
Le primaire (« primer » en anglais) joue un rôle majeur dans le processus d’adhésion à la dentine. C’est un liquide qui permet :
- Soit de maintenir suffisamment poreux le réseau de collagène.
- Soit de permettre sa ré-expansion s’il a été collapsé lors du séchage.
L’application d’un primaire s’avère a priori essentielle pour permettre une perméabilité de la dentine déminéralisée après évaporation de l’eau qu’elle contient. Une fois l’eau éliminée, la surface présente un caractère hydrophobe propice à la pénétration de la résine. Les primaires contiennent de l’eau, des monomères hydrophiles et des solvants organiques. Le monomère le plus couramment employé est l’HEMA (hydroxy-éthyl méthacrylate) qui est le seul composé méthacrylique à être totalement soluble dans l’eau. La présence de solvant contribue à faciliter l’évaporation de l’eau après application du primaire. L’élimination quasi complète de l’eau par séchage s’avère nécessaire à la formation d’une interphase adhérente de qualité. La présence d’eau résiduelle conduit à la formation de lacunes et une réduction du taux de conversion des monomères de résine (Jacobson & Soderholm 1995).
La Résine Adhésive
La troisième étape du traitement adhésif est tout simplement l’application de la résine adhésive qui doit pénétrer les tubules et s’infiltrer dans les canaux du réseau protéique inter et péritubulaire. Dans des conditions optimales, après copolymérisation avec le composite, on aboutit à la formation d’une interphase adhérente et étanche entre le composite et la dentine intacte. Cette interphase est constituée d’une couche hybride inter et péritubulaire de brides résineuses intra-tubulaires (« tags » en anglais).
La Couche Hybride et les Brides de Résine
La couche hybride est un entrelacement de deux types de polymères : les fibres de collagène de la matrice dentinaire, polymère d’origine naturelle, d’une part, et les macromolécules de l’adhésif, polymère de synthèse d’autre part. Cet ancrage micromécanique peut être comparé à un « velcro » à l’échelle macromoléculaire. L’imprégnation des protéines dentinaires par la résine rend la couche hybride acidorésistante (Nakabayashi & Takarada 1992). Une zone hybride de bonne qualité, non dégradable, pourrait offrir une protection de la dentine intacte sous-jacente et se révéler potentiellement cario-résistante. En pratique, cet idéal n’existe pas encore. Les processus de dégradation de la couche hybride seront évoqués plus loin. Les brides résineuses intra-canaliculaires participent tout autant que la couche hybride à l’adhésion dentinaire sans que l’on puisse dire lequel des deux phénomènes est dominant. On peut supposer que ces brides de résine ont un rôle prépondérant, notamment pour les cavités profondes, compte tenu de l’augmentation de la densité et du diamètre des tubules au fur et à mesure que l’on se rapproche de la pulpe (Mjor & Nordahl 1996).
Mais l’élimination des boues dentinaires conduit à une perfusion continue du fluide dentinaire vers la surface sous l’effet de la pression intra-pulpaire. Ce flux centrifuge est plus important en dentine profonde pour les raisons anatomiques évoquées. L’impossibilité d’éliminer l’eau résiduelle affaiblit nécessairement le joint collé.
Les Systèmes M&R II
Ce sont les produits présentés en un seul flacon. Schématiquement, ils contiennent à la fois les éléments du primaire et de la résine adhésive, c’est-à-dire des monomères hydrophobes, des monomères hydrophiles, des solvants, parfois des charges et bien sûr des amorceurs de polymérisation. La présentation de ces adhésifs permet de supprimer l’étape intermédiaire de l’application du primaire. Leurs solvants organiques (généralement alcool ou acétone) activent la pénétration du produit appliqué et facilitent l’évaporation de l’eau lors du séchage. Le traitement ne comprend plus que deux séquences. Leur mise en œuvre est plus simple que celle des M&R III, mais elle est en fait délicate. Le problème de l’élimination des excès d’eau à la surface de la dentine mordancée et rincée, avant application de l’adhésif, devient crucial. En excès, l’eau s’oppose à la formation d’un joint adhésif continu ; c’est le phénomène du « sur-mouillage » (Tay et coll. 1996). À l’inverse, un séchage trop intense entraîne un collapsus du collagène avec les conséquences déjà évoquées.
La difficulté pour le clinicien est de trouver le bon degré d’humidité dentinaire procurant une pénétration optimale de l’adhésif. Malheureusement, il est très difficile de maîtriser cet état. Plusieurs techniques ont été proposées à cet effet : séchage à l’air progressif en se rapprochant de la préparation, élimination des excès par simple aspiration avec la canule salivaire, absorption des excès d’eau par tamponnement à l’aide de boulette de coton humide ou de « micro-brosses », ou, à l’inverse, séchage de la cavité à l’air comprimé suivi d’une réhydratation par tamponnement (Kanca 1996, de Goes et coll. 1997). Les adhésifs M&R II contenant de l’acétone sont considérés comme plus sensibles à l’état d’humidité de la dentine que ceux qui contiennent de l’alcool.
Systèmes Auto-Mordançants (SAM)
Les systèmes auto-mordançants contiennent tous de l’eau. L’eau est nécessaire pour activer le potentiel d’ionisation de leurs monomères fonctionnels acides qu’ils contiennent. Mosner et coll. ont publié récemment une synthèse documentée très complète sur la chimie des monomères auto-mordançants (Mosner et coll, 2005). Comme ils participent à la polymérisation, il n’y a donc pas de rinçage après leur application. Les monomères acides déminéralisent et infiltrent simultanément émail et dentine. Au niveau de la dentine, ils dissolvent en premier la phase minérale de la boue dentinaire avant d’attaquer superficiellement la dentine sous-jacente. Les ions calcium et phosphates passent en solution dans l’adhésif liquide. Les groupements carboxyles ou phosphates de certains monomères fonctionnels peuvent former des liaisons chimiques avec les phases d’hydroxyapatite dissoute, contribuant à une meilleure cohésion de la résine infiltrée après polymérisation et, probablement, à une meilleure résistance à l’hydrolyse de cette zone (de Munk et coll. 2005). La boue dentinaire n’est donc pas totalement éliminée mais infiltrée.
Après polymérisation, les constituants organiques de cette boue sont imprégnés par la résine de l’adhésif, ainsi que les fibres de collagène de la surface dentinaire traitée. La zone hybride contient donc à la fois les protéines de la boue et de la dentine. Comme le pH des monomères se situe dans la fourchette 0,8-2,5, laAscension au niveau de l’émail est moins rétentif que celui obtenu avec l’acide phosphorique (Goran et coll. 1998, Hannig et coll. 1999, Perdigao & Geraldeli 2003). Sur un émail non préparé (non fraisé), les SAM présentent de faibles valeurs d’adhérence (Perdigao et coll. 1997, Kanemura et coll. 1999, Pashley & Tay, 2001). L’adhérence à l’émail semble pour partie liée au pH de la solution de mordançage et à l’amplitude de l’attaque qu’il provoque. Même si quelques auteurs annoncent des valeurs d’adhérence mesurées in vitro équivalentes entre systèmes M&R et SAM (Barkmeier et coll. 1995, Shono et coll. 1997), la majeure partie des études montre que l’adhérence à l’émail fraisé procurée par des SAM s’avère réduite par rapport à celle procurée par l’acide phosphorique (Yoshiyama et coll. 1998, Miyazaki et coll. 2000, Inoue et coll. 2003, De Munck et coll. 2003, Senawongse et coll. 2004, Goracci et coll. 2004, Ernst et coll. 2005, Kerby et coll. 2005). Ces données sont confirmées par une des rares études in vivo disponibles qui montre que l’intégrité des marges d’émail est meilleure avec un système du type M&R (Opdam et coll. 1998, Peumans 2005a).
Même si une tendance se dégage, certains résultats contradictoires peuvent s’expliquer déjà par la grande diversité des pH des SAMs. Toutefois, quelle que soit leur nature, les faciès de mordançage que procurent les SAMs apparaissent moins micro-rétentifs. Il est probable que l’adhésion à l’émail répond plus d’une nano-rétention à l’échelle des cristallites que d’une micro-rétention à la dimension du prisme (Hannig et coll. 2002). Mais les valeurs de pH des SAMs ne permettent pas d’expliquer totalement leur performance au niveau de l’émail. On peut raisonnablement supposer que la plus faible composante mécanique de l’adhésion permet de mieux révéler la composante chimique. La capacité des monomères MDP (methacryloxy deca éthyl phosphate) à se lier à l’hydroxyapatite peut expliquer l’assez bon comportement sur l’émail des adhésifs qui le contiennent (Yoshida et coll. 2004). L’adhésion des SAMs à l’émail est-elle suffisante pour garantir l’étanchéité marginale des restaurations à long terme ? Il est trop tôt pour pouvoir l’affirmer. Rien n’empêche, en revanche, de mordancer à l’acide phosphorique les marges d’émail d’une préparation, et uniquement ces marges, avant d’appliquer un SAM dans toute situation où l’on estime que la restauration sera particulièrement sollicitée (Pashley & Tay, 2001, Chuang et coll. 2005).
Les Systèmes SAM II
Pour le SAM II, on applique en premier un primaire acide. C’est ce que les Anglo-Saxons appellent le « self-etching primer ». Ce produit est l’alternative à l’attaque à l’acide phosphorique. Il déminéralise et infiltre simultanément les tissus dentaires calcifiés. Pour que sa diffusion en profondeur soit efficace, il doit agir pendant un temps minimum (20 à 30 secondes selon les produits). Après évaporation de l’eau qu’il contient par séchage, il est recouvert d’une résine dont la majeure partie des composants est hydrophobe. C’est généralement une résine classique très similaire à celle des M&R III. Rappelons que la polymérisation des esters méthacryliques est une réaction hydrophobe qui est inhibée par l’eau et l’oxygène. Cette deuxième couche permet d’obtenir une copolymérisation efficace avec la matrice des composites. Elle peut également contribuer à dissiper les contraintes du retrait de polymérisation du composite et les contraintes mécaniques subies par la restauration en fonction, réduisant ainsi le risque de rupture des interfaces collées. Elle contribue également à limiter l’incompatibilité du système adhésif avec les composites et les colles chimio-polymérisables ou duales (Cheong et coll. 2003).
Les Systèmes SAM I
Les SAM I combinent avec un seul produit les rôles de mordançage, primaire et adhésif. Les Anglo-Saxons les nomment « all-in-one », soit « tout en un ». Leur avantage apparent est de simplifier la procédure clinique du collage. Outre cet aspect ergonomique, la réduction des séquences opératoires limite potentiellement le risque d’erreur de manipulation que l’on peut faire à chaque étape du collage. Toutefois, ces produits associent nécessairement de l’eau, des monomères hydrophiles, des solvants et des monomères hydrophobes. La coexistence de ces constituants dans une solution homogène ne peut se faire que dans des limites critiques de composition. Ils peuvent être sujets à une séparation de phase lors de leur procédure d’application, surtout si l’évaporation de l’eau qu’ils contiennent n’est pas suffisante (van Landuyt et coll. 2005).
Efficacité des Systèmes Adhésifs
Influence de l’Acidité des Agents de Mordançage
Au Niveau de l’Émail
Au niveau de l’émail, il est bien admis aujourd’hui que la qualité du mordançage est le principal facteur influençant la valeur de l’adhésion à l’émail. La nature de l’acide employé, sa concentration, ses temps d’application et de rinçage sont plus conséquents que la nature de l’adhésif. La seule exception concerne la situation particulière où il s’avère nécessaire de coller sur émail humide, puisque la dentine doit être humide avant l’application de certains systèmes. Grâce à leurs primaires, certains M&R III procurent une bonne adhérence à l’émail humide (Kanca, 1992, Swift et coll. 1998, Jain & Stewart 2000). De la même manière, la présence de monomères hydrophiles et de solvants organiques dans la plupart des M&R II permet de s’affranchir du caractère plus ou moins humide de l’émail (Chuang et coll. 2005). Pour obtenir une liaison fiable et durable à l’émail, l’acide phosphorique dans une fourchette de composition comprise entre 20 et 40 % reste la référence.
La qualité de l’adhésion à l’émail des systèmes auto-mordançants est un sujet encore très discuté. La plupart des auteurs s’accordent sur un point : les faciès d’attaque générés par les SAMs sur l’émail apparaissent moins rétentifs que ceux que procure l’acide phosphorique (Goran et coll. 1998, Hannig et coll. 1999, Perdigao & Geraldeli 2003). Sur un émail non préparé (non fraisé), les SAM présentent de faibles valeurs d’adhérence (Perdigao et coll. 1997, Kanemura et coll. 1999, Pashley & Tay, 2001). L’adhérence à l’émail semble pour partie liée au pH de la solution de mordançage et à l’amplitude de l’attaque qu’il provoque. Même si quelques auteurs annoncent des valeurs d’adhérence mesurées in vitro équivalentes entre systèmes M&R et SAM (Barkmeier et coll. 1995, Shono et coll. 1997), la majeure partie des études montre que l’adhérence à l’émail fraisé procurée par des SAM s’avère réduite par rapport à celle procurée par l’acide phosphorique (Yoshiyama et coll. 1998, Miyazaki et coll. 2000, Inoue et coll. 2003, De Munck et coll. 2003, Senawongse et coll. 2004, Goracci et coll. 2004, Ernst et coll. 2005, Kerby et coll. 2005). Ces données sont confirmées par une des rares études in vivo disponibles qui montre que l’intégrité des marges d’émail est meilleure avec un système du type M&R (Opdam et coll. 1998, Peumans 2005a).
Même si une tendance se dégage, certains résultats contradictoires peuvent s’expliquer déjà par la grande diversité des pH des SAMs. Toutefois, quelle que soit leur nature, les faciès de mordançage que procurent les SAMs apparaissent moins micro-rétentifs. Il est probable que l’adhésion à l’émail répond plus d’une nano-rétention à l’échelle des cristallites que d’une micro-rétention à la dimension du prisme (Hannig et coll. 2002). Mais les valeurs de pH des SAMs ne permettent pas d’expliquer totalement leur performance au niveau de l’émail. On peut raisonnablement supposer que la plus faible composante mécanique de l’adhésion permet de mieux révéler la composante chimique. La capacité des monomères MDP (methacryloxy deca éthyl phosphate) à se lier à l’hydroxyapatite peut expliquer l’assez bon comportement sur l’émail des adhésifs qui le contiennent (Yoshida et coll. 2004). L’adhésion des SAMs à l’émail est-elle suffisante pour garantir l’étanchéité marginale des restaurations à long terme ? Il est trop tôt pour pouvoir l’affirmer. Rien n’empêche, en revanche, de mordancer à l’acide phosphorique les marges d’émail d’une préparation, et uniquement ces marges, avant d’appliquer un SAM dans toute situation où l’on estime que la restauration sera particulièrement sollicitée (Pashley & Tay, 2001, Chuang et coll. 2005).
Au Niveau de la Dentine
D’une manière générale, un temps prolongé de mordançage rend plus aléatoire l’infiltration complète de la zone dentinaire déminéralisée. L’amplitude de l’attaque dépend du pH et de la force de l’acide employé. Pour un gel d’acide phosphorique à 35-40 %, il est conseillé de ne pas prolonger le temps de contact au-delà de 15 secondes. Si nous avons vu qu’on pouvait optimiser l’adhésion à l’émail des SAMs par un mordançage préalable, cette pratique est tout à fait contre-indiquée au niveau de la dentine. Les monomères des adhésifs auto-mordançants ont peu de chance de pénétrer en totalité la dentine déminéralisée (Walker et coll. 2000).
Lorsque les SAMs sont appliqués directement sur la dentine, on pourrait penser a priori que l’hybridation qu’ils forment est complète puisque les monomères acides polymérisables atteignent nécessairement le front de déminéralisation. En fait, ce n’est pas totalement le cas puisqu’une étude récente a montré que la déminéralisation dentinaire provoquée par un SAM I à caractère acide fort pouvait se prolonger au-delà de leur polymérisation (Wang & Spencer 2005). Un autre problème que l’on peut rencontrer avec les SAMs est l’épaisseur de la couche de boue dentinaire formée lors du fraisage. L’épaisseur de la boue dépend du type de fraise employé. Elle est d’1 mm après préparation avec des fraises diamantées ultra-fines et peut atteindre 2,8 μm avec des instruments à gros grains (super-coarse) (Tani & Finger 2002).
L’influence de cette épaisseur est controversée dans la littérature. Certains auteurs ont noté une diminution de l’adhérence de certains systèmes auto-mordançants lorsque l’épaisseur de la boue augmentait (Watanabe et coll. 1994, Inoue et coll. 2001, Ogata et coll. 2001). D’autres, à l’inverse, ont montré que les SAM étaient capables de former une couche hybride quelle que soit l’épaisseur de la boue dentinaire (Tay et coll., 2000, Tani & Finger 2002). Cette absence de consensus est probablement liée à la différence d’agressivité des systèmes adhésifs testés dans les expérimentations. Il semble toutefois prudent de conseiller aujourd’hui une finition des préparations avec des instruments à grains fins lorsque l’on emploiera un SAM.
Compatibilité
Certains systèmes adhésifs s’avèrent incompatibles avec les colles ou composites chimio-polymérisables, ou avec certains matériaux duals quand le manque ou l’absence d’énergie lumineuse ne permet pas leur activation photonique. Il en résulte une zone de faible cohésion, non polymérisée à l’interface adhésif-composite chimio-activable qui est la cause de problèmes cliniques : décollement de reconstitutions corono-radiculaires (Hagge & Lindemuth 2001), de facettes et d’inlays. Cette incompatibilité est principalement due à l’acidité de certains adhésifs, qu’il s’agisse de systèmes M&R ou de SAM (Sanares et coll. 2001, Tay et coll., 2003 a et b).
Rappelons que l’amorçage d’une chimio-polymérisation requiert la présence de radicaux libres qui sont obtenus lors du mélange « base »-« catalyseur ». Plus précisément, le produit appelé « catalyseur » contient un peroxyde organique qui réagit après le malaxage avec une amine tertiaire contenue dans le produit de « base ». Cette réaction d’oxydoréduction (RedOx) conduit à la formation de radicaux libres (oxybenzoyl) qui amorcent la polymérisation en s’attaquant aux doubles liaisons méthacrylate. Lorsque l’on applique un composite ou une colle chimio-polymérisable sur l’adhésif, des monomères libres de l’adhésif peuvent diffuser dans la zone profonde du composite, car la couche superficielle de l’adhésif n’est pas polymérisée (inhibition de la réaction au contact de l’oxygène de l’air).
Si l’adhésif contient des monomères acides, ces derniers peuvent donc diffuser dans le composite ou la colle et réagir avec les amines tertiaires à caractère basique du système d’amorçage. L’amine tertiaire consommée par cette réaction acide-base n’est plus disponible pour participer à la formation des radicaux libres nécessaires à l’amorçage de la polymérisation. Il n’y a que peu ou pas de radicaux libres formés. La chimio-polymérisation est alors inhibée. Cette interaction défavorable à la qualité du joint adhésif se produit plus particulièrement avec certains M&R II qui contiennent un taux assez important de monomères hydrophiles polaires et acides (Tay et coll. 2003 b), soit, bien sûr, avec la plupart des SAM I (Tay et coll. 2003 a). Le caractère semi-perméable de ces deux classes d’adhésifs et la présence d’eau à l’interface adhésif-composite est un phénomène aggravant l’incompatibilité entre les deux matériaux.
À l’inverse, les systèmes M&R III et SAM II qui impliquent l’application d’une couche de résine intermédiaire hydrophobe et peu perméable présentent généralement une meilleure compatibilité avec les composites chimio-polymérisables et duals (Cheong et coll. 2003). Pour pallier ce problème d’incompatibilité, certains fabricants fournissent avec leurs systèmes adhésifs (généralement des M&R II et des SAM II) un flacon additionnel qui contient un activateur susceptible de leur conférer une bonne copolymérisation avec les composites et colles chimio-activables ou duals. L’activateur qu’ils contiennent habituellement est un sulfinate de sodium. Ce dérivé de l’acide sulfinique est un agent réducteur qui, d’une part, réduit l’épaisseur de la couche d’adhésif inhibée par l’oxygène et, d’autre part, contribue à former des radicaux libres phényles ou sulfonyles en réagissant avec les monomères acides libres, assurant ainsi une bonne chimio-polymérisation (Suh et coll, 2003).
En pratique, lorsqu’un adhésif est associé à un matériau chimio-polymérisable, il est conseillé de sélectionner :
- Soit un système adhésif photo-polymérisable à pH neutre ou proche de la neutralité.
- Soit un système qui peut être mélangé à un activateur additionnel. Cette deuxième solution a le plus souvent l’avantage de conférer à l’adhésif un caractère dual.
Considérations Pratiques et Sensibilité Post-Opératoires
Outre le gain de temps, la suppression du rinçage permise par les systèmes auto-mordançants présente plusieurs avantages. La séquence du rinçage après mordançage est bien souvent une étape à risques :
- Brûlure chimique des tissus buccaux au contact de l’agent de mordançage.
- Saignement d’un parodonte marginal inflammatoire, notamment quand la préparation jouxte la gencive marginale et que la digue n’est pas ou ne peut pas être posée (lésions cervicales, proximales, préparations de facettes, etc.).
L’emploi d’un système adhésif limite le risque de contamination par le sang ou le fluide gingival des surfaces préparées en s’affranchissant du rinçage. Le principal avantage des systèmes auto-mordançants, en clinique, est de réduire très sensiblement le risque de sensibilité postopératoire. La souffrance du système dentino-pulpaire est principalement attribuée aux variations de pression intra-tubulaire (Brannstrom & Astrom 1972). Contrairement aux adhésifs nécessitant un pré-mordançage, les systèmes auto-mordançants n’éliminent pas les bouchons de boue dentinaire, mais les imprègnent. Malgré les défauts de la boue déjà évoqués, les bouchons de boue à l’orifice des tubules ont l’avantage de réduire considérablement la perméabilité dentinaire. Pashley a en effet montré que la boue dentinaire intervenait pour 86 % dans la résistance à l’écoulement des fluides intra-tubulaires (Pashley 1984). L’infiltration de la boue ne peut qu’améliorer l’obturation tubulaire (Hashimoto et coll. 2004). Rappelons que l’écoulement des fluides dentinaires est proportionnel à la puissance 4 du rayon des tubules. La probabilité de mouvements hydrodynamiques à l’émergence des tubules devient très faible. L’obturation tubulaire efficace est la raison principale qui explique le taux réduit de sensibilités postopératoires observées en clinique avec les SAM (Opdam et coll. 1998, Peumans et coll. 2005a).
Qualité et Durabilité de l’Interphase Dentine-Adhésif
Le concept de l’hybridation des tissus dentaires calcifiés a ouvert de nouvelles voies à la dentisterie réparatrice. Toutefois, la formation d’un joint réellement étanche au contact de la dentine reste actuellement un problème à résoudre. Cela tient en premier lieu à la complexité des substrats que l’on rencontre en clinique. La surface d’une préparation n’est que rarement constituée de dentine primaire saine. Les parois d’une même cavité peuvent être composées de différents types de tissus modifiés : dentines secondaires, tertiaires, sclérotiques, carieuses, déminéralisées, reminéralisées ou hyperminéralisées. La spécificité de ces différents états est nécessairement conséquente sur les valeurs d’adhésion et d’étanchéité aux interfaces cavitaires (Marshall et coll. 1997). L’interphase dentine-adhésif apparaît souvent imparfaite. La zone de dentine déminéralisée peut n’être que partiellement infiltrée par les monomères (Sano et coll. 1994 et 1995, Armstrong et coll., 2001). Ce différentiel entre l’épaisseur de tissu déminéralisé et l’épaisseur de l’infiltration est générateur de défauts à la base de la couche hybride, source de nano-fuites (Sano et coll. 1995). C’est la raison pour laquelle il est conseillé de limiter le temps de mordançage de la dentine à 15 secondes pour les systèmes M&R.
Même si la pénétration de l’adhésif peut apparaître dans certains cas matériellement complète, la qualité de l’hybridation n’est pas nécessairement bonne. En effet, des études récentes ont montré que le réseau de collagène jouait le rôle de filtre sélectif conduisant à des séparations de phases de l’adhésif (Spencer & Wang, 2002; Wang & Spencer, 2003). Les monomères à poids moléculaire élevé et à caractère hydrophobe ne pénètrent que superficiellement la matrice protéique. À l’inverse, les monomères hydrophiles à bas poids moléculaire (type HEMA) constituent l’essentiel de la zone d’infiltration profonde. L’imprégnation du collagène à ce niveau est faite par une résine de mauvaise qualité, peu polymérisée et susceptible de s’hydrolyser dans le temps. Le collagène qui n’est plus protégé par une gaine de résine peut à son tour être le siège de dégradations par l’action protéolytique d’enzymes d’origine bactérienne, salivaire, voire endogènes (Tjaderhan et coll. 1998, van Strijp et coll. 2003, Pashley et coll. 2004). Pashley et coll. ont montré récemment que la dégradation du réseau protéique pouvait être due à l’action de métalloprotéases matricielles endogènes, c’est-à-dire d’enzymes originellement présentes dans la dentine (Pashley et coll. 2004). Ces observations faites in vitro ont été confirmées in vivo sur des dents temporaires où Hashimoto et coll. ont mis en évidence la dégradation quasi complète à court terme des composants de la zone profonde de la couche hybride (Hashimoto et coll., 2000). Ces constatations permettent de mieux prendre conscience de l’importance de la qualité du joint collé à l’émail périphérique qui peut assurer une protection temporelle de l’interface adhésif-dentine (de Munck et coll., 2003).
La sensibilité à la manipulation des adhésifs complique encore l’accomplissement d’un joint dentine-adhésif de qualité car une petite erreur dans le protocole de mise en œuvre peut compromettre la valeur de l’adhésion (Ciucci et coll., 1997, Sano et coll. 1998, Degrange et coll. 2001). Les systèmes adhésifs simplifiés ne s’avèrent pas plus tolérants, à ce titre, que les adhésifs en 3 séquences du type M&R III, bien au contraire (Finger & Balkenhol 1999). La pénétration des systèmes M&R II est très dépendante de l’état plus ou moins humide de la dentine déminéralisée sur laquelle ils sont déposés (Gwinnett, 1992; Kanca, 1992). Un substrat pas assez ou trop sec peut avoir des conséquences importantes sur la qualité de l’hybridation (Kanca, 1996; Tay et coll. 1996). D’une manière similaire, un séchage généralement insuffisant ou trop brutal après l’application d’un SAM I ou II peut dramatiquement affecter la qualité du joint collé (Frankenberger et coll. 2000; Van Landuyt et coll. 2005). La formation et l’entraînement pratiques des praticiens apparaissent à ce titre une condition nécessaire à l’optimisation des joints collés (Peutzfeldt & Asmussen 2002).
Conclusion
Malgré les considérables progrès thérapeutiques permis par les techniques adhésives, il reste encore un long chemin à accomplir pour assurer la fiabilité et la longévité des interfaces adhésifs-tissus dentaires, notamment au niveau de la dentine. Une revue de la littérature regroupant l’ensemble des études cliniques publiées sur les 5 dernières années montre que les systèmes M&R III demeurent aujourd’hui les adhésifs les plus performants et les moins sensibles à la technique de mise en œuvre (Peumans et coll. 2005).
Les systèmes adhésifs auto-mordançants présentent deux avantages majeurs par rapport aux systèmes qui requièrent un pré-mordançage. La première est une réelle simplification de la procédure de collage. La séquence de rinçage est éliminée, ce qui réduit les risques de contamination des tissus préparés par le sang ou la salive. Le collage est réalisé sur émail et dentine secs. La question de l’humidité de la dentine ne se pose plus. La seconde qualité majeure est la réduction du taux de sensibilité post-opératoire avec leur emploi, puisque leur application ne peut qu’améliorer la qualité de l’obturation tubulaire procurée par les bouchons de boue dentinaire.
Mais les systèmes auto-mordançants ne s’avèrent pas encore aujourd’hui aussi efficaces sur l’émTimothy Ferriss l’émail que les systèmes impliquant un traitement préalable à l’acide phosphorique. De plus, l’évaporation de l’eau qu’ils contiennent est l’étape critique de leur mise en œuvre pouvant affecter la qualité du collage.
Il n’y a donc pas une classe de produit qui s’avère totalement dominante sur les autres. Le choix du praticien dépendra de la situation clinique et en particulier de la surface relative d’émail et de dentine exposées par la préparation. Au niveau des secteurs antérieurs, l’aire de contact avec l’émail est assez conséquente, ce qui semble indiquer préférentiellement l’emploi d’un système M&R. Dans les secteurs postérieurs, à l’inverse, la surface dentinaire préparée plus importante permet de poser l’indication d’emploi d’un SAM. Dans cette dernière situation, on aura toutefois loisir de mordancer au préalable les marges d’émail à l’acide phosphorique pour assurer l’adhérence et l’étanchéité du joint périphérique, ce qui revient à mettre en œuvre au minimum 2 étapes, et idéalement 3 étapes pour aboutir à la bonne qualité du collage.
La procédure adhésive ne peut donc pas encore aujourd’hui se simplifier sans conséquences sur la qualité à moyen ou long terme sur la qualité du joint dent-restauration. Elle est et doit rester actuellement une procédure assez longue et rigoureuse où la manipulation joue un rôle au moins aussi conséquent que la performance potentielle intrinsèque de l’adhésif mis en œuvre.
Les Adhésifs et leurs Mécanismes d’Adhésion – Biomatériaux Dentaire
La santé bucco-dentaire est essentielle pour le bien-être général, nécessitant une formation rigoureuse et continue des dentistes. Les étudiants en médecine dentaire doivent maîtriser l’anatomie dentaire et les techniques de diagnostic pour exceller. Les praticiens doivent adopter les nouvelles technologies, comme la radiographie numérique, pour améliorer la précision des soins. La prévention, via l’éducation à l’hygiène buccale, reste la pierre angulaire de la pratique dentaire moderne. Les étudiants doivent se familiariser avec la gestion des urgences dentaires, comme les abcès ou les fractures dentaires. La collaboration interdisciplinaire avec d’autres professionnels de santé optimise la prise en charge des patients complexes. La santé bucco-dentaire est essentielle pour le bien-être général, nécessitant une formation rigoureuse et continue des dentistes.
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Dr J Dupont, chirurgien-dentiste spécialisé en implantologie, titulaire d’un DU de l’Université de Paris, offre des soins implantaires personnalisés avec expertise et technologies modernes.
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