Examen Clinique et Analyse Occlusale, Occlusodontie
Introduction
L’appareil manducateur représente une entité fonctionnelle. Il existe une étroite relation entre les différents éléments du système stomatognatique (dentaire, ostéo-articulaire et neuromusculaire). Cette synergie peut être perturbée par une altération, même minime, de l’un de ses composants, donnant naissance à un dysfonctionnement de l’appareil manducateur.
Anamnèse
L’interrogatoire du patient doit permettre de recueillir des informations sur le motif de consultation, l’état de santé général, les antécédents et l’évolution de la pathologie (Gola et al., 1992). Conduit avec patience sous forme de conversation, l’interrogatoire doit noter :
Motifs de Consultation
Le patient expose spontanément ses troubles objectifs (esthétiques, fonctionnels comme une difficulté à mastiquer, une faible ouverture buccale, un blocage ou des bruits articulaires) et subjectifs (bourdonnements, sifflements), ainsi que les caractéristiques de sa douleur :
- Siège : localisation et étendue de la zone douloureuse (point ou surface) et irradiations éventuelles.
- Apparition : soudaine ou progressive, spontanée ou provoquée (bâillement, traumatisme, soins dentaires prolongés, etc.).
- Durée : quelques heures, jours, semaines, ou permanente.
- Présence de zones gâchettes.
- Facteurs de soulagement ou d’accentuation.
- Intensité : gêne, sensibilité, douleur superficielle, moyenne, forte ou paroxystique.
Antécédents Personnels et Familiaux
À travers des questions adaptées au niveau intellectuel du patient, on peut recueillir :
- Pathologies générales : maladies rhumatismales, hyperlaxité ligamentaire, pouvant influencer la survenue, l’entretien ou l’aggravation des dysfonctions de l’appareil manducateur.
- Médications en cours ou antérieures : pour éviter les contre-indications à un traitement pharmacologique ou autres méthodes thérapeutiques.
- Notion de traumatisme récent.
- Troubles de comportement.
- Profession : exigeant une tension nerveuse soutenue ou une posture pathogène (violoniste, standardiste, etc.).
- Situation familiale : problèmes relationnels ou affectifs.
- Antécédents locaux ou régionaux : douleurs musculaires ou articulaires, céphalées, traitements orthodontiques, traumatismes sur l’appareil manducateur.
- Antécédents médicaux : traitements en cours ou passés.
- Antécédents chirurgicaux : anesthésie générale (possible luxation mandibulaire) ou avulsion des dents de sagesse sous anesthésie locale (ouverture buccale prolongée).
Évaluation Psychologique
L’évaluation psychologique doit être systématique, sous forme de discussion plutôt que de questions directes sur l’état psychologique. Les éléments suivants peuvent alerter sur une implication psychologique :
- Perception douloureuse : mal-être général, difficulté à décrire la douleur de manière précise.
- Fréquence des consultations : échecs thérapeutiques successifs, recherche de solutions miracles.
- Médicaments : commentaires sur leur efficacité, consommation excessive.
- Anxiété et dépression : signes cliniques difficiles à détecter pour le chirurgien-dentiste.
Examen Clinique
Inspection Générale
Dès l’entrée du patient, une inspection sommaire permet de noter des anomalies faciales et posturales.
Anomalies Faciales
- Faciès crispé.
- Asymétrie (déviation du menton).
- Présence de cicatrice mentonnière (suggérant un antécédent traumatique).
- Mouvements anormaux (tics, parafonctions, spasmes musculaires).
- Dimension des trois étages de la face (dimension verticale d’occlusion – DVO).
- Anomalies de profil (pro- ou rétro-mandibulie).
Anomalies Posturales
Les relations fonctionnelles entre les muscles cervicaux et masticateurs sont étroites. Les anomalies posturales peuvent être :
- Fonctionnelles : postures nocives adoptées au cours de l’activité professionnelle.
- Organiques : scoliose.
Examen de la Cinématique Mandibulaire
Amplitude des Mouvements
Mesure de l’ouverture buccale, de la propulsion et de la diduction à l’aide d’une réglette ou d’un pied à coulisse. L’amplitude moyenne de l’ouverture buccale est de 45 mm ± 7 mm.
- > 50 mm : dysfonction articulaire (DAM) avec hyperlaxité ligamentaire.
- 25-35 mm : DAM articulaire et musculaire.
- < 25 mm : DAM articulaire avec dérangement intracapsulaire.
- Amplitude limitée + déflexion du côté atteint : DAM articulaire avec déplacement discal sans réduction (DDP).
Trajectoire des Mouvements
Observation des trajectoires d’ouverture/fermeture buccale, des latéralités et de la propulsion (orientation par rapport au plan sagittal médian, régularité).
Étude de la trajectoire du point inter-incisif (observée de face) :
- Rectiligne sagittale avec déviation < 2 mm : acceptable.
- Rectiligne avec déviation > 2 mm : limitation des mouvements condyliens du côté de la déviation.
- Non rectiligne arciforme avec ou sans ressaut : déplacement discal avec réduction (DDR) du côté de l’articulation pathologique.
- Non rectiligne sinusoïdal : DDR bilatéral asymétrique.
Fermeture : mêmes éléments que pour l’ouverture (trajectoire du point inter-incisif inférieur, position terminale d’occlusion en position d’intercuspidie maximale – PIM, ressauts).
Propulsion :
- Mesurée au pied à coulisse entre le bord libre de l’incisive mandibulaire et maxillaire (normale = 9 mm).
- Trajectoire souvent déviée du côté de l’articulation temporo-mandibulaire (ATM) hypofonctionnelle.
Rétropulsion :
- Amplitude souvent modérée ou nulle, appréciée à partir d’une position de propulsion.
Diduction :
- Amplitude normale = 9 mm ; < 6 mm est pathologique.
Auscultation et Palpation Articulaire
Permet d’évaluer la présence de douleur et de bruits articulaires. Palpation bilatérale comparative des ATM (droite et gauche).
Palpation des ATM
- Sur les téguments : le praticien, placé devant le patient, place la pulpe de ses index dans la région prétragienne pour une palpation bilatérale symétrique. À l’ouverture maximale, la face latérale du condyle est plus accessible.
- Intra-auriculaire : dans la même position, les auriculaires sont placés dans le conduit auditif externe (CAE), pulpe en avant, bouche fermée. Le patient ouvre lentement la bouche pour examiner les mouvements condyliens, ressauts et sensibilité de la capsule articulaire.

Auscultation
Réalisée à l’aide d’un stéthoscope pour percevoir les bruits créés par les mouvements mandibulaires.
Palpation Musculaire
Permet d’évaluer le volume musculaire, sa consistance et de localiser les zones douloureuses. Effectuée de manière comparative (bilatérale) avec la pulpe des doigts (index et majeur).
Sites de Palpation Musculaire
- Muscles masticateurs : masséter, temporal, ptérygoïdien médial et latéral.
- Muscles cervicaux : trapèze, sterno-cléido-mastoïdien.
Palpation des Masséters
Le patient serre les dents pour faire saillir le muscle. Le praticien, placé devant, pince le muscle en plaçant le pouce antérieurement et quatre doigts sur le bord postérieur du ramus pour apprécier son volume.

Palpation du Muscle Temporal
Les faisceaux antérieurs, moyens et postérieurs sont palpés à travers le cuir chevelu. Le praticien, placé devant, place ses mains au-dessus des arcades zygomatiques et demande au patient de serrer et desserrer les dents.

Palpation du Muscle Ptérygoïdien Latéral
Effectuée par voie intrabuccale avec l’index ou l’auriculaire au niveau des insertions ptérygoïdiennes, en arrière de la tubérosité maxillaire. Seule le faisceau inférieur est palpé, facilité par une ouverture buccale modérée (20 mm) et une diduction du côté palpé.

Palpation du Muscle Ptérygoïdien Médial
- Palpation externe : le patient penche la tête en avant, bouche fermée. Les doigts en crochet sont placés en dedans de l’angle mandibulaire.


Sites de Palpation Musculaire (Rozencweig)
- Faisceaux antérieurs, moyens et postérieurs du muscle temporal.
- Tendon inférieur du temporal (voie buccale).
- Attaches supérieure et inférieure et corps du masséter.
- Bord inférieur du ptérygoïdien médial.
- Ventres antérieur et postérieur du digastrique.
- Parties supérieure, moyenne et inférieure du sternocléido-mastoïdien.
- Insertion supérieure et corps du trapèze.
Analyse Occlusale
Objectif : évaluer la situation dento-parodontale et les contraintes biomécaniques. Réalisée en bouche, puis sur moulages montés sur articulateur semi-adaptable pour identifier les facteurs dentaires de déséquilibre.
Examen Dento-Parodontal
- Formule dentaire.
- Lésions dentaires : fractures, fêlures, caries, dysplasies (tester la vitalité pulpaire).
- Hypersensibilités, abrasions : signes de bruxisme ou crispation.
- Mobilités et migrations dentaires.
- Édentations non compensées.
- Anomalies de position : rotations, versions, égressions.
- Malocclusions : inversé d’articulé.
- Reconstitutions prothétiques inadaptées ou iatrogènes.
- Contrôle de plaque : indice de plaque.
- Inflammation gingivale : degré.
- Sondage parodontal.
- Mobilité dentaire : degré.
- Récession gingivale.
- Examen des furcations.
- Examen des muqueuses buccales.
Examen Occlusal
- Examen statique : recherche de prématurités.
- Examen dynamique : recherche d’interférences.
- Concordance des points inter-incisifs.
- Recouvrement et surplomb : noter occlusion inversée, béance, etc.
- Rapports d’occlusion molaire : classification d’Angle.
- Courbes de Spee et Wilson : présence ou inversion.
- Occlusion en intercuspidie maximale (OIM) : stabilité et contacts (calage mandibulaire).
- Centrage mandibulaire.
Recherche des prématurités :
- Utilisation d’un ruban marqueur coloré sur ses deux faces, supporté par une pince de Miller.
- Arcades dentaires séchées, patient serre les dents sur le ruban.
- Points de contact : punctiformes, multiples, uniformément répartis. Les surfaces importantes indiquent des contacts exagérés.
Occlusion Dynamique :
Recherche des interférences protrusives et déductives, travaillantes ou non travaillantes. Une interférence est un contact occlusal anormal lors d’un mouvement de propulsion ou de diduction.
- Mouvement de protrusion :
- Côté travaillant : les deux incisives supérieures en contact avec les quatre incisives inférieures.
- Côté non travaillant : désocclusion postérieure.
- Mouvement de latéralité (pratiqué des deux côtés) :
- Fonction canine : la canine conduit seule le mouvement avec désocclusion des autres dents.
- Fonction groupe : canine + dents postérieures du même côté conduisent le mouvement avec désocclusion des autres dents.
Tests Cliniques
Les tests confirment l’hypothèse diagnostique et déterminent si le dysfonctionnement est musculaire ou articulaire.
Test de Krogh-Poulsen
Morsure d’un objet (abaisse-langue en bois) au niveau des molaires du côté douloureux :
- Aggravation des douleurs : atteinte musculaire.
- Soulagement des douleurs : atteinte articulaire (peut aggraver les douleurs de l’autre côté).
Test de Comparaison des Mouvements Actifs et Passifs
- Ouverture active : patient contracte ses muscles, douleur = DAM articulaire ou musculaire.
- Ouverture passive : praticien mobilise la mandibule, douleur = DAM articulaire.
Test de Morsure Antérieur
Coton mordu entre les incisives :
- Élévation condylienne = compression articulaire.
- Inhibition des élévateurs.
- Déclenchement de douleur : antéposition discale (condyle sur ligaments rétro-discaux, richement innervés) = forme articulaire du DAM.
- Soulagement de la douleur : DAM musculaire.
Conclusion
La présence de signes cliniques musculaires et articulaires, la compréhension de la nature des lésions des différentes structures et l’analyse des facteurs étiologiques permettent de poser un diagnostic et de proposer une thérapeutique appropriée.