Dysfonctionnement de l’appareil manducateur, Occlusodontie
Introduction
L’appareil manducateur représente une entité fonctionnelle. Il existe une étroite relation entre les différents éléments du système stomatognatique (dentaire, ostéo-articulaire et neuromusculaire). Cette synergie peut être perturbée par une altération, même minime, de l’un de ses composants, donnant naissance à un dysfonctionnement de l’appareil manducateur (DAM).
Évolution des terminologies
La terminologie de la pathologie dysfonctionnelle de l’appareil manducateur a varié au cours du temps en fonction des organes observés et des hypothèses étiopathogéniques :
- 1934 Costen : Syndrome de Costen
- 1955 Schwartz : Syndrome musculotendineux
- 1959 Schore : Syndrome dysfonctionnel de l’ATM
- 1969 Myrhaug : Syndrome otodentaire
- 1969 Laskin : Syndrome algodysfonctionnel musculotendineux
- 1970 Rozencweig : Syndrome algodysfonctionnel de l’appareil manducateur (SADAM)
- 1971 Gerber : Troubles occlusomandibulaires
- 1975 Drum : Processus autodestructif
- 1983 Farrar et McCarthy : Désordres cranio-mandibulaires (DCM)
- 1995 Rozencweig : Algies et/ou dysfonctionnements de l’appareil manducateur (ADAM)
- 2001 CNO : Dysfonctionnement de l’appareil manducateur (DAM)
- Association Dentaire Américaine (ADA) : Temporomandibular Disorders (TMDs)
Définition
Les DAM correspondent à l’expression symptomatique d’une myoarthropathie de l’appareil manducateur. Ils englobent les douleurs et troubles du fonctionnement de l’appareil manducateur en rapport avec une anomalie musculo-squelettique. Par référence au système atteint, on distingue :
- DAM musculaire
- DAM articulaire
Étiopathogénie
Différentes théories et modèles étiopathogéniques des DAM ont été proposés au fil du temps.
Théories pathogéniques
- Théorie mécanique occlusale : L’occlusion a été proposée comme le facteur étiologique principal, voire unique.
- Théorie neuromusculaire : Un déséquilibre musculaire est à l’origine de la symptomatologie.
- Théorie psychophysiologique : Prend en compte les facteurs psychosociaux (stress) dans l’apparition des DAM.
- Théorie articulaire : Un trouble articulaire est à l’origine de la symptomatologie.
- Théorie crânio-mandibulaire sacrée : Une défaillance posturale (tête, cou, corps) crée un terrain propice à l’apparition d’un DAM.
- Théorie du « tout médical » : Les DAM peuvent être la manifestation localisée d’une affection générale.
À l’heure actuelle, les études épidémiologiques n’ont pas montré de lien de causalité entre un facteur étiologique isolé et la survenue de DAM. Il existe un consensus reconnaissant l’étiologie multifactorielle des DAM, avec une « influence réciproque ».
Modèles étiologiques
Les facteurs étiologiques peuvent être classés en trois dimensions :
- Dimension biologique : Agit sur le domaine musculo-articulaire par un déséquilibre de la santé générale.
- Dimension mécanique ou structurelle : Correspond à l’organisation musculo-squelettique, à l’articulation temporo-mandibulaire (ATM) et à l’occlusion.
- Dimension psychosociale : L’aspect psychique influence le comportement de l’appareil manducateur.
Dans chacune de ces dimensions, on distingue :
Facteurs prédisposants
- Anomalies des fonctions occlusales de centrage, calage, guidage : prématurités (déviation mandibulaire = hyperactivité musculaire), interférences, perte de calage postérieur (déplacement du condyle en arrière = compression du disque).
- Hyperlaxité ligamentaire : acquise (promandibulie) ou congénitale (maladie de Marfan).
- Parafonctions : bruxisme, tics de succion ou mordillement, onychophagie.
- Terrain psychologique : anxiété, dépression, stress aggravent la contracture musculaire.
- Dysmorphoses maxillo-mandibulaires et condyliennes.
- Dysfonctions orofaciales : dysfonction linguale, déglutition atypique, ventilation orale.
- Anomalies de postures : postures professionnelles (violoniste), sommeil en décubitus ventral avec appui mandibulaire aggravent les DAM.
- Maladies systémiques : peuvent engendrer des douleurs musculaires et articulaires (polyarthrite rhumatoïde, syndrome de Gougerot-Sjögren) ; hyperlaxité ligamentaire (syndrome de Marfan ou d’Ehlers-Danlos).
Facteurs déclenchants
- Choc émotionnel majorant les parafonctions.
- Modification brutale de l’occlusion (orthodontie, prothèse iatrogène).
- Modification comportementale (mastication de chewing-gum, parafonctions comme serrement, bruxisme, onychophagie).
- Traumatismes extrinsèques (macro-traumatismes) ou intrinsèques (micro-traumatismes).
Macro-traumatismes :
- Iatrogènes : longues séances de soins dentaires, ouverture buccale forcée (extractions des dents de sagesse), chirurgie intra-orale, intubation lors d’anesthésie générale.
- Accidentels :
- Traumatisme direct : choc sur la mandibule, étirement, torsion, bâillement, hurlements.
- Traumatisme indirect : accélération et décélération brutale de la tête sans impact direct (« coup du lapin »).
Micro-traumatismes :
- Parafonctions orales (bruxisme).
- Forces latérales exercées de façon répétée directement ou indirectement sur les ATM : posture de sommeil, posture de travail pathogène, contraintes occlusales transversales, contraintes mécaniques orthodontiques.
Facteurs d’entretien
- Migrations dentaires secondaires.
- Remodelage articulaire.
- Fragilité psychologique.
- L’âge (réduit l’adaptabilité tissulaire).
Un DAM a plus de chance d’apparaître si ces trois groupes de facteurs sont présents à un degré suffisant, ce degré variant selon les individus. Les possibilités d’adaptation de l’appareil manducateur diffèrent selon les individus et les périodes de leur existence.
Symptômes et signes cliniques
Les troubles musculo-articulaires se traduisent par la triade BAD : bruits, algies, dyskinésies. D’autres symptômes peuvent également être associés aux DAM.
Bruits articulaires
Claquements
- Bruit bref et sec, s’accompagnant généralement d’un ressaut (sensation de « mâchoire qui se décroche »).
- Le plus souvent : conflit condylo-discal (franchissement par le condyle mandibulaire du bourrelet postérieur du disque).
- Passage du condyle en avant du tubercule articulaire (subluxation ou hypertranslation).
Crépitations
- Bruit plus prolongé, à type de bruits de sable mouillé.
- Évocatrices de modifications morphologiques des surfaces articulaires, traduisent la disparition ou la perforation du disque.
Algies
Les algies sont le principal motif de consultation. Elles présentent des expressions très variables et peuvent être localisées (musculaires ou articulaires) ou référées et diffuses. Elles constituent une alarme, un élément de diagnostic et de contrôle de la maladie.
- Douleur musculaire : Localisation multiple (pas forcément sur l’ATM), continue, diffuse, voire irradiante. Signe de contractures, spasmes ou inflammation musculaires.
- Douleur articulaire : Localisée au niveau de l’articulation temporo-mandibulaire, vive, lancinante, rétro-condylienne ou condylienne.
- Douleur articulaire et musculaire : La gêne occasionnée est souvent plus importante que la douleur articulaire ou musculaire seule.
Dyskinésies ou anomalies de la cinématique mandibulaire
- Perturbation de l’amplitude et de la trajectoire des mouvements.
- Limitation : Obstacle intra-articulaire ou dysfonctionnement musculaire.
- Exagération : Absence de limitation ligamentaire au mouvement de translation et de rotation en présence d’hyperlaxité ligamentaire (acquise ou systémique).
- Déviation et déflexion :
- Déviation : Le trajet s’éloigne du plan sagittal médian (PSM) puis revient dans l’axe, illustrant l’absence de synchronisation des condyles (passage d’un obstacle = DAM articulaire).
- Déflexion : Trajectoire nette qui s’écarte du PSM sans se recentrer, objectivant la retenue d’un des deux condyles (DAM musculaire ou articulaire).
Autres symptômes
L’organe dentaire peut montrer des signes et symptômes de troubles fonctionnels, associés à la répartition des forces occlusales lourdes sur les dents et leurs structures de soutien.
Au niveau parodontal : Trauma occlusal
- Mobilité dentaire.
- Migrations dentaires.
- Élargissement de l’espace desmodontal.
- Altération de la lamina dura.
- Modifications gingivales : fissures de Stillman, bourrelet de Mc Call.
Au niveau dentaire : Bruxisme
- Abrasions dentaires.
- Fractures dentaires.
- Fracture et/ou résorption radiculaire.
- Mortification pulpaire.
- Douleur.
Autres
- Auriculaires : Acouphènes, sensation d’oreille bouchée, hypo- ou hyperacousie.
- Oculaires : Douleurs péri- ou rétro-orbitaires, troubles de l’accommodation.
- Céphalées de tension : D’origine musculaire (frontales, temporales, suboccipitales).
- Manifestations neurovégétatives : Œdème, rhinorrhée, larmoiement.
Classification diagnostique
Dysfonctionnements musculaires
Les dysfonctionnements musculaires se caractérisent par :
- Douleurs : Continues, diffuses, voire irradiantes, associées à la fonction, aggravées par la palpation musculaire.
- Anomalies de la cinématique mandibulaire : Restriction des mouvements mandibulaires, perturbation de la trajectoire des mouvements (déflexion).
Réflexe d’éclissage
- Réponse réflexe de protection induite par le système nerveux central (SNC) : contraction musculaire et douleur.
- But : Protéger une région blessée d’un nouveau trauma (surocclusion, ouverture buccale prolongée).
- Réponse physiologique normale du système neuromusculaire.
- Douleur accentuée par la fonction.
Courbatures
- Trouble musculaire primaire non inflammatoire.
- Première réponse du tissu musculaire à un réflexe d’éclissage prolongé.
- Légère douleur au repos, accentuée par la fonction.
- Légère diminution de l’amplitude des mouvements.
Spasme
- Violente contraction musculaire aiguë, soudaine, involontaire, induite par le SNC.
- Muscle raccourci, douloureux.
- Activité musculaire importante au repos.
- Importante limitation de l’amplitude du mouvement (ouverture buccale → masséters).
- Douleur importante au repos et durant la fonction, très douloureuse à la palpation.
Douleur myofaciale
- Caractérisée par :
- Une douleur musculaire régionale sourde (repos, fonction).
- La présence de points musculaires gâchettes (trigger points).
- Due à : Courbatures prolongées non traitées, stress.
- Point gâchette : Point douloureux au niveau du muscle, ferme et circonscrit à la palpation.
Myosite
- Phénomène inflammatoire au sein du tissu musculaire.
- Résulte de courbatures prolongées ou d’une douleur myofasciale non traitée.
- Diminution de l’amplitude de mouvement.
- Douleur au repos, accentuée à la fonction, intense à la palpation.
Contracture
- Raccourcissement non douloureux d’un muscle.
- Fait suite à un trouble musculaire prolongé ayant entraîné une diminution de l’amplitude de mouvement pour éviter la douleur.
Dysfonctionnements articulaires
Les dysfonctionnements articulaires de l’appareil manducateur sont des anomalies de position ou de structure des éléments de l’ATM. Ils se regroupent en :
- Anomalies du complexe condylodiscal.
- Incompatibilité des surfaces articulaires.
- Inflammation.
- Maladie dégénérative.
Anomalies du complexe condylodiscal
Les dysfonctionnements du complexe condylodiscal correspondent à des anomalies de position relative de ces deux éléments constitutifs de l’ATM (luxation condylo-discale ou déplacement discal). Ils entraînent une perte des rapports normaux (désunion condylo-discale).
Déplacements discaux réductibles
- Désunion condylodiscale partielle, réductible (DDRI) :
- En fermeture buccale (FB) : Le condyle se situe sur le bourrelet postérieur (pas sur la zone intermédiaire).
- En ouverture buccale (OB) : Claquement unique à l’ouverture, faiblement perceptible (recoaptation condylodiscale).
- Douleur due à la compression de la zone bilaminaire.
- Très légère déviation mandibulaire, sans restriction de l’ouverture buccale.
- Désunion condylodiscale totale, réductible (DDR2) :
- Disque en situation antérieure.
- Condyle derrière le bourrelet postérieur du disque en occlusion d’intercuspidie maximale (OIM).
- Claquement réciproque perceptible :
- Mouvement de translation : Le condyle franchit le bourrelet postérieur (recoaptation discale = claquement).
- Mouvement de retour : Décoaptation condylodiscale (claquement).
- Deux instants clés : Moment de la luxation lors de la fermeture buccale et moment de sa réduction lors de l’ouverture buccale.
- La sévérité dépend de l’instant du cycle où survient la luxation et sa réduction.
- Douleur légère (rétrodiscite accompagnant la désunion partielle s’estompe grâce à l’adaptation des tissus).
- Déviation mandibulaire importante (passage d’un obstacle = disque).
- Sans restriction de l’ouverture buccale.
Déplacements discaux irréductibles (permanents)
- Bouche fermée :
- Disque en situation antérieure, sous l’éminence temporale.
- Condyle en arrière du bourrelet postérieur.
- Bouche ouverte :
- Disque antérieur, compressé, plicaturé.
- Condyle reste en arrière du bourrelet postérieur lors des mouvements de translation (pas de recoaptation discale).
DDP aigu | DDP chronique |
---|---|
Apparition récente | 3 à 4 mois |
Absence de claquement | Forte réduction de la symptomatologie |
Importante limitation de l’ouverture buccale (blocage bouche fermée) | Normalisation de la cinématique mandibulaire par hyperrotation compensatrice |
Limitation de la diduction controlatérale | Douleur légère estompée en raison de l’adaptation des tissus |
Déflexion du côté atteint (retenue du condyle) | |
Douleur modérée à intense |
Incompatibilité des surfaces articulaires
Adhérences et adhésions
- Adhérences : Surfaces articulaires temporairement adhérentes par la synoviale.
- Difficulté d’ouverture buccale matinale, suivie d’un seul bruit (décollement de la synoviale).
- Mouvements mandibulaires normaux ensuite.
- Adhésions : Formation d’adhérences intra-articulaires fibreuses irréversibles, condylodiscales ou temporodiscales.
Subluxation temporo-mandibulaire (hypertranslation)
- La translation du condyle mandibulaire n’est plus limitée.
- Le condyle peut franchir le tubercule temporal (luxation temporo-mandibulaire autoréductible = subluxation).
- Causes : Anatomie défavorable du tubercule temporal, hyperlaxité ligamentaire.
- Symptômes : Bruit sourd en ouverture buccale maximale, amplitude d’ouverture exagérée, trajectoire non rectiligne.
Luxation temporo-mandibulaire
- Ne se réduit pas spontanément.
- Blocage en fin de translation du condyle mandibulaire, au-delà du tubercule articulaire du temporal.
- Le patient ne peut plus refermer la bouche.
- Spasmes des muscles ptérygoïdiens latéraux et masséters, empêchant le retour du condyle mandibulaire et accentuant le blocage.
- Symptômes : Blocage bouche ouverte, douleur modérée à très intense.
Inflammation
Un processus inflammatoire peut toucher :
- La capsule de l’articulation (capsulite).
- La membrane synoviale (synovite).
- La zone bilaminaire (rétrodiscite).
- Les tissus osseux (arthrite).
L’inflammation peut résulter d’anomalies du complexe condylodiscal, de micro- ou macro-traumatismes, ou d’une infection (rare).
Maladie dégénérative
- Processus de destruction des surfaces articulaires : le condyle ou le tubercule temporal s’altèrent en réponse à une surcharge au niveau des ATM.
- Arthrose primaire : Idiopathique.
- Arthrose secondaire : Consécutive à un trauma, une maladie systémique ou une anomalie du complexe condylodiscal.
- Symptômes : Douleur, crépitations, pincement de l’interligne articulaire, aplatissement des surfaces articulaires.
Conclusion
La présence de signes cliniques, musculaires et articulaires, la compréhension de la nature des lésions des différentes structures et l’analyse des facteurs étiologiques permettent de poser un diagnostic et de proposer une thérapeutique appropriée.