Dermatologie buccale : ulcérations, aphtes et aphtoses, les lésions bulleuse de la muqueuse buccale
Rappels histologiques
La muqueuse est constituée par un épithélium de revêtement reposant sur le chorion à travers une membrane basale.
Les lésions élémentaires
La lésion élémentaire est la lésion primitive non modifiée de l’atteinte de la muqueuse buccale, telle qu’elle apparaît à l’observateur. Elle peut être nette, permanente, mais être plus ou moins évidente selon l’évolution, la zone d’apparition ou les thérapeutiques utilisées. Cette lésion s’analyse par l’observation et la palpation. L’usage d’une optique est souvent utile pour en préciser certains caractères.
Le diagnostic clinique repose sur l’anamnèse, sur la topographie et principalement sur l’examen. La lésion élémentaire primaire doit être distinguée des lésions secondaires qui résultent d’une transformation spontanée ou provoquée de la lésion primaire.
Macules, plages, et placards
Les macules correspondent à une modification de la couleur de la muqueuse sur une surface limitée sans relief ni infiltration. Une plage ou placard correspond à une modification de la couleur de la muqueuse buccale dont le diamètre dépasse 0,5 cm.
Ces lésions, uniques ou multiples, ont le plus souvent des limites nettes et peuvent être érythémateuses, blanches, pigmentées, ou au contraire hypochromiques ou achromiques. Les signes subjectifs se traduisent par une impression de brûlure ou d’agacement. À l’examen histologique, elles répondent à une dilatation capillaire sans extravasation d’hématies, parfois une atrophie épithéliale est observée.
Plaques et papules
Les plaques et papules sont des lésions saillantes et circonscrites, solides, ne contenant pas de liquide. On parle de plaque lorsque le diamètre dépasse 0,5 cm. Elles peuvent être en rapport avec une augmentation du diamètre de l’épithélium ou une augmentation du volume du chorion. Les papules peuvent être chorio-épithéliales, elles sont bien limitées, et peuvent être érythémateuses, blanches, pigmentées, ou hypochromiques.
Les nodules
Ce sont des élevures rondes et saillantes, de diamètre supérieur à 1 cm, correspondant à une infiltration profonde du chorion par prolifération cellulaire. Il s’agit le plus souvent de tumeurs, qu’elles soient bénignes ou malignes.
Les lésions bulleuses
Les bulles sont des décollements épithéliaux arrondis ou ovalaires de taille variable, contenant un liquide séreux ou hémorragique. Leur présence est généralement éphémère à cause de la fragilité du toit, de l’humidité buccale et des traumatismes alimentaires. Les affections bulleuses peuvent s’observer isolément ou s’associer à une éruption cutanée.
Les érosions
Elles peuvent être primitives ou secondaires. C’est une perte de substance superficielle, sans nécrose des tissus sous-jacents, le fond de la lésion garde une couleur plus ou moins rouge. Le caractère bien circonscrit avec une collerette épithéliale blanchâtre fait évoquer une érosion post-bulleuse ou post-vésiculeuse.
Les ulcérations
Perte de substance profonde avec destruction de l’épithélium buccal et de la partie supérieure du chorion, contrairement à l’érosion où la perte de substance ne concerne que la partie superficielle de l’épithélium.
Les ulcérations et aphtes buccaux
Les ulcérations buccales posent surtout un problème étiologique pouvant révéler des maladies locales ou générales très diverses et parfois graves. On distingue les ulcérations isolées, les ulcérations orales aiguës multiples, les ulcérations récidivantes, et enfin les ulcérations chroniques.
Les ulcérations isolées
Les ulcérations traumatiques
Il s’agit le plus souvent d’une ulcération unique avec un pourtour moulé sur l’agent causal, comme une prothèse dentaire mal adaptée ou une morsure, surtout après une anesthésie locorégionale. Cette ulcération guérit en 7 à 8 jours si la cause est traitée. L’utilisation de bains de bouche avec une solution saline ou une solution de chlorhexidine à 0,2 % peut aider à la guérison. En cas de persistance de l’ulcération, une biopsie de la lésion est nécessaire pour éliminer une cause néoplasique.
Les ulcérations récurrentes
D’origine systémique, un certain nombre de patients présentent un problème d’ulcérations orales récurrentes, s’échelonnant parfois sur une période de plusieurs années. Parmi les causes, on note :
- Ulcère aphteux (aphtose bucco-pharyngée et maladie de Behçet)
- Leucopénie, neutropénie cyclique
- Ulcérations liées à la chimiothérapie
- Maladies inflammatoires intestinales (Crohn, RCH)
- Syndrome de malabsorption (maladie cœliaque)
- Anémie et déficiences nutritionnelles
- Hypogammaglobulinémie
- Infection par le VIH
- Insuffisance rénale chronique
- Lupus érythémateux
Les aphtes et aphtoses
L’aphte, du mot grec « Aphta » signifiant ulcère ou brûlure, est une ulcération relativement commune mais dont l’étiologie est inconnue. C’est l’ulcération de la muqueuse buccale la plus douloureuse, entraînant des difficultés à mastiquer, déglutir et assurer une hygiène buccale. Les aphtes buccaux peuvent être isolés (aphtes vulgaires ou communs et aphtose bucco-pharyngée) ou s’inscrire dans le cadre d’une aphtose atteignant d’autres organes (maladie de Behçet ou grande aphtose de Touraine, aphtes cutanéo-muqueux).
Mécanismes d’apparition
Phase 1 : Phase prodromique (douloureuse)
Picotements et brûlures (moins de 24 h, souvent absente dans la maladie de Behçet).
Phase 2 : Phase pré-ulcérative (courte)
Lésions érythémateuses, maculaires ou papuleuses, voire vésiculeuses (vésicules éphémères, le plus souvent passées inaperçues).
Phase 3 : L’aphte s’ulcère
Ulcération punctiforme ou lenticulaire, ne saigne jamais. La base est légèrement œdémateuse, souple, non indurée, sauf dans les variétés nécrosantes. L’aphte gêne l’alimentation et la parole. La lésion, très douloureuse, est bien limitée, peu profonde, arrondie ou ovalaire, avec un fond nécrotique recouvert d’une pseudomembrane et entouré d’un halo érythémateux avec bord surélevé.
Phase 4 : Réépithélialisation
La douleur diminue, la lésion s’aplatit et se réépithélialise.
L’aphte isolé
La lésion initiale est une macule érythémateuse, évoluant en une ulcération ronde ou ovalaire, entourée d’un halo érythémateux, avec un fond jaunâtre. Siège : lèvres, palais, face interne des joues, sillon gingivo-labial. Lésion non infiltrée, sans adénopathies satellites. Le diagnostic différentiel se fait avec l’ulcération traumatique ou le chancre de syphilis buccal.
Aphtose commune
La poussée est constituée de un à trois éléments mesurant de 3,6 à 10 mm. Évolution spontanée vers la guérison en 8 jours. Des circonstances déclenchantes sont évoquées, propres à chaque patient : alimentaires, soins dentaires, stress, fatigue, etc. Les poussées sont rares, avec des périodes de latence de plusieurs mois. Le bilan de l’aphtose commune est essentiellement étiologique. Le traitement est symptomatique, utilisant des topiques antiseptiques, anesthésiques ou antalgiques. Localisée uniquement au niveau des muqueuses peu kératinisées.
Aphtose multiple
Rare, faite de 4 à 10 éléments bien individualisés, parfois confluents, prenant un aspect herpétiforme. Le bilan est essentiellement étiologique, cherchant à identifier les circonstances déclenchantes pour les éviter. L’état général est conservé. Les traitements sont symptomatiques mais ne réduisent pas la durée de la poussée.
Aphtose miliaire
Forme particulière de l’aphtose multiple, avec de 10 à 100 éléments, rarement confluents, extrêmement douloureuse. Elle doit être différenciée d’une stomatite herpétique de primo-infection. Le diagnostic clinique est parfois difficile, mais certains éléments orientent vers l’infection virale : confluence des éléments, altération de l’état général, fièvre, lésions péri-buccales. Le traitement reste symptomatique.
Aphtose géante
Taille supérieure à 1 cm, le plus souvent unique. L’ulcération est parfois infiltrée d’œdème, parfois nécrotique, et évolue sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Les signes fonctionnels sont importants : dysphagie, dysphonie, hypersialorrhée. Traitement : Thalidomide à 100 mg par jour entraîne une sédation spectaculaire des douleurs en quelques jours, mais ce médicament, ancien, provoque des malformations congénitales graves chez la femme enceinte. Les corticoïdes locaux ont démontré leur efficacité.
Maladie de Behçet
Décrite par le dermatologue turc Hulusi Behçet en 1937, c’est une vascularite comportant des manifestations systémiques diverses, les plus fréquentes étant cutanées, ophtalmologiques, articulaires et neurologiques. Le diagnostic est clinique et repose sur un ensemble de critères, essentiellement ceux définis par le Groupe International d’Étude sur la maladie de Behçet.
Tableau : Critères de diagnostic de la maladie de Behçet (Lancet, 1990)
Critères | Commentaires |
---|---|
Ulcérations buccales récidivantes | Aphtes vulgaires, géants ou miliaires, observés par le médecin ou le patient, avec une récurrence d’au moins 3 fois en 12 mois |
Plus 2 des 4 critères suivants : | |
Ulcérations génitales récidivantes | Ulcération aphteuse ou cicatrice, observée par le médecin ou le patient |
Lésions oculaires | Uvéite antérieure ou postérieure, cellules dans le vitré, vascularite rétinienne diagnostiquée par un ophtalmologiste |
Lésions cutanées | Érythème noueux, pseudofolliculite, lésions papulopustuleuses, nodules acnéiques |
Pathergy-test positif | Lu par le médecin après 24-48 heures |
Investigations et diagnostic de la maladie de Behçet
Le diagnostic repose essentiellement sur l’histoire de l’affection rapportée par le patient et la recherche des critères cliniques. Il n’existe pas d’examen de laboratoire spécifique. L’interrogatoire vise à détecter d’autres désordres comme la maladie de Crohn, la maladie cœliaque, la neutropénie, le VIH ou le syndrome de Behçet.
Les aphtes buccaux (AB) sont classés selon 5 critères cliniques :
- La taille
- Le nombre
- La durée d’évolution des lésions
- La fréquence des récidives
- Les associations à un contexte pathologique
Cette étape diagnostique oriente les investigations complémentaires et les choix thérapeutiques. L’aphtose récidivante est caractérisée par une fréquence des poussées supérieures à 4 par an, quels que soient le nombre, la taille ou la durée des éléments. Les périodes de rémission varient de 2 à 3 mois à quelques jours, et les poussées sont parfois subintrantes.
Moyens thérapeutiques
Bains de bouche
Les bains de bouche prescrits dans le cas d’aphtose buccale récidivante (ABR) visent à contrôler les contaminations microbiennes et les infections secondaires. Bien que leurs bénéfices n’aient pas été confirmés, plusieurs bains de bouche à base d’antibiotiques ont été utilisés (tétracycline, céphalexine). Une solution peut être préparée avec 250 à 500 mg (1 à 2 capsules de Vibramycine dissoutes dans 30 à 50 ml d’eau stérile). On peut aussi imbiber des compresses pour les appliquer directement sur la lésion. Le gluconate de chlorhexidine agit sur la cicatrisation en réduisant la durée de l’ulcération, mais n’a aucun effet sur la récurrence.
Corticostéroïdes
En topiques, les corticostéroïdes limitent le processus inflammatoire associé à l’aphte. Leur efficacité dans le traitement de l’aphte est indiscutable, ce qui explique leur large utilisation, renforcée par l’absence d’effets secondaires. Les crèmes dermiques ne sont cependant pas adaptées à l’usage intrabuccal. Les bains de bouche aux corticoïdes offrent l’avantage de ne pas être avalés ni rejoindre la circulation. Pour optimiser leur effet, il est recommandé de :
- Masser au doigt ou avec un coton pendant 30 à 60 secondes
- Garder le produit au niveau de l’ulcération
- Éviter de manger ou boire pendant au moins 30 minutes après
L’usage prolongé des corticostéroïdes peut favoriser la survenue de candidoses.
Les lésions bulleuses
Cliniquement, une bulle est une collection liquidienne superficielle à contenu clair ou séro-hématique, de plusieurs millimètres de diamètre. Elle peut siéger sur la peau ou les muqueuses. Il faut savoir évoquer une lésion élémentaire bulleuse devant une érosion post-bulleuse.
Dermatose bulleuse non auto-immune
Érythème polymorphe
Maladie bulleuse de l’adulte jeune et de l’enfant, elle résulte d’une réponse immunitaire contre divers agents infectieux, souvent le virus de l’herpès simplex (HSV). Les manifestations d’érythème polymorphe post-herpétique apparaissent généralement 7 à 10 jours après la récurrence herpétique, avec un début brutal. Les lésions en cocarde de 1 à 3 cm de diamètre réalisent des papules centrées par une vésicule et entourées par un halo érythémateux. Un syndrome pseudo-grippal peut être associé. Les lésions muqueuses sont observées dans 50 % des cas.
Clinique
L’examen endo-buccal retrouve des érosions post-bulleuses de grande taille, recouvertes de fibrine, très étendues, à la partie antérieure mais également sur la face interne des joues, le voile et la langue, entravant l’alimentation, l’ouverture buccale et l’examen. Une chéilite croûteuse et hémorragique est très fréquente. La rémission spontanée et sans séquelle se fait en 2 à 3 semaines.
Conduite à tenir
Une alimentation liquide ou semi-liquide ou de substitution (Renutryl, Fortimel) est nécessaire. Une hygiène buccodentaire correcte sera reprise dès que possible, avec un brossage doux en utilisant une brosse chirurgicale.
Traitement local symptomatique :
- Application de Xylocaïne gel sur les érosions
- Bains de bouche composés, avec adjonction d’un flacon de Xylocaïne 5 % dans la préparation, prescrits avant les repas pour anesthésier les muqueuses
- Dans les formes majeures, ajout d’un comprimé de Solupred 20 mg ou de Célestène dispersible 2 mg dans chaque verre de bain de bouche composé
Dermatose bulleuse auto-immune
Pemphigoïde bulleuse
C’est la plus fréquente, touchant surtout les sujets âgés. Elle peut débuter par un prurit généralisé, des placards eczématiformes ou urticariens. L’éruption caractéristique est faite de bulles tendues à contenu clair, souvent de grande taille, siégeant sur une base érythémateuse. L’atteinte muqueuse est rare.
Pemphigus vulgaire
Maladie rare touchant l’adulte d’âge moyen, elle débute de manière insidieuse par des lésions muqueuses érosives, surtout buccales, entraînant une dysphagie et parfois un amaigrissement. L’éruption cutanée typique est caractérisée par des bulles flasques en peau saine, rapidement rompues, laissant des érosions ne cicatrisant pas, avec un signe de Nikolski. Le taux de mortalité est de l’ordre de 10 %. Dans les formes évolutives ou étendues, la corticothérapie générale constitue le traitement d’attaque (Prednisone 1 à 1,5 mg/kg/jour).
Pemphigoïde cicatricielle
Caractérisée par l’atteinte élective des muqueuses, elle touche surtout le sujet âgé. Elle se manifeste par une gingivite, une stomatite bulleuse ou érosive dans la bouche, une conjonctivite avec risque de cécité par opacification cornéenne. L’atteinte cutanée est inconstante. La gravité potentielle de l’atteinte oculaire justifie un traitement par immunosuppresseurs.
Conclusion
Les ulcérations et aphtes buccaux restent un domaine très vaste en odontostomatologie, nécessitant parfois une collaboration pluridisciplinaire pour une prise en charge globale. En médecine buccale, la prise en charge de ces patients a pour priorité l’antalgie. Cependant, le médecin-dentiste contribue au diagnostic précoce de certaines lésions aphtoides et ulcérations buccales, étant le seul spectateur de la cavité buccale grâce à son examen clinique précis.
Voici une sélection de livres:
- “Orthodontie de l’enfant et de l’adulte” par Marie-José Boileau
- Orthodontie interceptive Broché – Grand livre, 24 novembre 2023
- ORTHOPEDIE DENTO FACIALE ODONTOLOGIE PEDIATRIQUE
- Orthopédie dento-faciale en dentures temporaire et mixte: Interception précoce des malocclusions Broché – Illustré, 25 mars 2021
- Nouvelles conceptions de l’ancrage en orthodontie
- Guide d’odontologie pédiatrique: La clinique par la preuve
- Orthodontie linguale (Techniques dentaires)
- Biomécanique orthodontique
- Syndrome posturo-ventilatoire et dysmorphies de classe II, Bases fondamentales: ORTHOPÉDIE ET ORTHODONTIE À L’USAGE DU CHIRURGIEN-DENTISTE
Dermatologie buccale

Dr J Dupont, chirurgien-dentiste spécialisé en implantologie, titulaire d’un DU de l’Université de Paris, offre des soins implantaires personnalisés avec expertise et technologies modernes.