Adaptations thérapeutiques chez le sujet âgé : Soins conservateurs et endodontiques, Gérodontologie
Introduction
Les personnes âgées, qui constituent une part de plus en plus importante de notre patientèle, ont des problèmes spécifiques liés à leur état physique et psychique, ainsi qu’à leur statut social. Notre comportement doit être le reflet d’une parfaite connaissance tant des problèmes individuels de chacun de nos patients âgés que des techniques et soins appropriés. Les traitements seront plus conservateurs, évolutifs et moins agressifs.
Définitions
Gérontologie
La gérontologie est un champ d’étude qui porte sur le vieillissement humain, ses conséquences et ses implications au sens le plus large : biologie et physiologie des organismes vivants, psychologie, santé, économie, société, démographie, sociologie et plus généralement la plupart des sciences humaines. Elle est donc un point de rencontre de multiples disciplines.
Gériatrie
La gériatrie est une composante de la gérontologie qui s’intéresse plus spécifiquement aux conséquences du vieillissement sur la santé humaine et aux maladies des personnes âgées.
Odontologie gériatrique : Gérodontologie
L’odontologie gériatrique, ou gérodontologie, s’intéresse plus spécifiquement aux conséquences du vieillissement sur la santé du système bucco-dentaire et aux solutions thérapeutiques.
La population gériatrique
Avec l’augmentation de l’espérance de vie, les progrès de la médecine et les moyens importants de prévention des caries chez les jeunes depuis plusieurs années déjà, les patients âgés sont appelés à être de plus en plus nombreux dans nos cabinets dentaires. Ce sont des individus structurellement, fonctionnellement et mentalement différents de ce qu’ils ont été durant leur jeunesse.
Classification par âge
- Jeunes âgés : entre 60 et 64 ans.
- Groupe de transition : entre 65 et 74 ans.
- Vieux âgés : au-delà de 75 ans.
Problèmes de santé générale liés à l’âge
- Problèmes cardiaques et circulatoires : 46 %.
- Problèmes musculaires et osseux : 13 %.
- Allergies et asthme : 11 %.
- Cancers divers : 10 %.
Les personnes âgées présentent souvent des pathologies multiples et prennent régulièrement, pour la plupart, plusieurs médicaments par jour. Un certain nombre de signes, tant physiques que psychiques, sont également associés au grand âge : l’égoïsme, la dépendance, la surdité, l’inutilité, les dépressions, l’impuissance, l’indécision, l’anxiété… auxquels il faudra ajouter une inversion des relations parents-enfants (ce sont souvent les enfants qui accompagnent leurs vieux parents et prennent les décisions pour eux) et des problèmes de couverture sociale et de moyens financiers souvent limités.
Problèmes spécifiques liés au grand âge
- Diminution partielle ou totale de la salive.
- Problèmes de l’articulation temporo-mandibulaire (ATM).
- Diminution de l’habileté et de la coordination neuro-musculaire, de l’hygiène, de la vue, de l’ouïe, de la mémoire…
- Problèmes de la longueur des dents (longues ou au contraire abrasées), de leur nombre, de leur position sur l’arcade, de leur état, de leur capital osseux et donc de leur maintien ou non.
- Caries cervicales ravageantes, dites du vieillard, avec mauvaise hygiène et limitation des possibilités de maintenance.
- Problèmes des déplacements souvent accompagnés et parfois difficiles d’un certain nombre de nos patients (autonomie), du temps à consacrer et du nombre de rendez-vous, du travail à effectuer plus rapidement, parfois aussi de matériaux d’enregistrement à prise plus rapide, des séances écourtées ou annulées, des techniques simplifiées…
Incidences du vieillissement
Sur la muqueuse buccale
Altération histologique
- Une fibrose diffuse.
- Une dégénérescence du système circulatoire de surface, plus marquée chez les sujets très âgés.
Altérations biologiques
- Modifications dystrophiques sous-jacentes.
- Diminution des défenses vis-à-vis des agressions extérieures, qu’elles soient microbiologiques ou traumatiques.
Les glandes salivaires et le flux salivaire
- Il ne semble pas y avoir de modifications importantes de la composition salivaire avec l’âge.
- En revanche, une diminution marquée du flux salivaire a été observée, mais il est probable que cette diminution reflète les effets secondaires des pathologies générales ou des actions thérapeutiques.
Les dents
Le vieillissement des dents se caractérise par des modifications :
- De la couleur (jaunâtre).
- De la forme (attrition, abrasion, érosion).
Sur les tissus dentaires
Émail dentaire
- L’émail devient moins perméable et son aspect se modifie par une usure lente et progressive.
- Les couronnes dentaires deviennent plus fragiles et d’une couleur plus foncée.
- La surface de l’émail présente souvent des craquelures et des fêlures.
- Les prismes de l’émail sont effondrés.
Complexe pulpo-dentinaire
Dentine
- Les modifications de la dentine sont dues à deux processus indépendants :
- Obturation des tubuli dentinaires par la dentine péritubulaire.
- Dépôt de la dentine secondaire.
- Chez la personne âgée, les tubuli dentinaires sont moins nombreux et obstrués par un tissu hautement minéralisé.
- Ces altérations résultent d’une diminution de la susceptibilité de la pulpe aux stimuli externes.
- L’épaisseur de la dentine augmente par apposition centripète de la dentine secondaire, entraînant ainsi une réduction de la chambre pulpaire :
- Avantage : lors de préparations prothétiques.
- Inconvénient majeur : en endodontie.
- La dentine devient avec l’âge plus minéralisée et prend un aspect translucide. Cette « hyperminéralisation » des tubuli dentinaires peut avoir une influence sur l’efficacité des adhésifs utilisés en dentisterie restauratrice.
Pulpe
- La chambre pulpaire et les canaux radiculaires se rétrécissent.
- Le contenu fibreux augmente alors que la population cellulaire (incluant les fibroblastes et les odontoblastes) diminue.
- La vascularisation et l’innervation diminuent.
- La dent devient moins sensible aux tests de vitalité et aux préparations.
- Une augmentation des dégénérescences calciques liées aux altérations de la vascularisation (pulpolithes).
- Les calcifications situées à la partie coronaire du canal empêchent la pénétration des instruments destinés à l’exploration canalaire.

Cément
- Le cément augmente en épaisseur, en particulier au niveau du tiers apical.
- L’hypercémentose est liée :
- À l’âge.
- Mais aussi à une activité fonctionnelle accrue.
- Le dépôt cémentaire apical aboutit à une augmentation de la longueur radiologique de la dent qui doit être prise en compte lors du traitement endodontique.
Le ligament alvéolo-dentaire
- Au cours du vieillissement, apparaît une diminution des éléments cellulaires et fibreux de l’espace ligamentaire avec pour principales conséquences :
- Une baisse du potentiel de réparation des différentes cellules du ligament.
- Une fibrose ligamentaire par augmentation du pontage du collagène.
- Une diminution de la largeur de l’espace ligamentaire chez les personnes âgées ayant conservé une dentition complète.
- Un élargissement de l’espace ligamentaire chez les personnes âgées partiellement édentées, par surcharges occlusales au niveau de leurs dents résiduelles.
La gencive
- Une récession gingivale, avec migration de l’épithélium de jonction sur la région cervicale de la surface cémentaire.
- Cependant, la perte de dents chez les sujets âgés n’est pas une conséquence naturelle du vieillissement mais le résultat d’une maladie parodontale aggravée par l’âge.
Sur le tissu osseux
- Le vieillissement du tissu osseux atteint le métabolisme phosphocalcique et le remaniement osseux ou turn-over.
- Ces modifications ont pour conséquence une diminution de la phase minérale aboutissant à un état physiologique appelé ostéopénie.
- Ostéopénie oro-faciale + une perte de la puissance musculaire + l’absence éventuelle des dents : responsables des changements de forme et de volume que l’on peut observer au niveau des maxillaires des personnes âgées.
Vieillissement et pathologies bucco-dentaires
Les problèmes bucco-dentaires retrouvés en gériatrie sont liés à :
- L’édentation.
- La présence de caries.
- Les parodontopathies.
- Les affections de la muqueuse buccale.
Les caries cervicales
- Les caries radiculaires sont localisées dans la région cervicale des dents en supra ou sous-gingival ou parfois sur les faces proximales.
- Les lésions précoces apparaissent comme des dyschromies le long de la jonction amélo-cémentaire.
- Les formes actives : la couleur est jaunâtre, légèrement brune.
- Les formes non actives : brun noir.
Facteurs favorisant le développement des caries
- Les récessions gingivales.
- La xérostomie.
- Une hygiène buccale insuffisante.
- Le port de prothèse.
Patient âgé/praticien : relation et prise en charge
Il convient de :
- Réaliser une anamnèse précise (complétée par le médecin traitant ou l’accompagnant).
- Mettre le patient en sécurité et en confiance.
- Évaluer son état de santé général pour apprécier ses facultés d’adaptation aux éventuels traitements bucco-dentaires.
La prise en charge des personnes âgées en odontologie conservatrice restauratrice et en endodontie
Chez les personnes âgées autonomes
Chez les personnes âgées autonomes présentant une hygiène bucco-dentaire moyenne, et lorsque leur état de santé le permet, les soins restaurateurs et les thérapeutiques endodontiques sont abordés de la même façon que chez le sujet jeune, en tenant compte des modifications structurales des tissus dentaires et des tissus environnants.
Thérapeutiques dentinaires restauratrices
- Les coiffages pulpaires sont contre-indiqués devant la faiblesse du potentiel réparateur.
- Les soins restaurateurs sont réalisés comme chez l’adulte.
- Chez la personne âgée, lorsqu’une restauration est indiquée, certaines difficultés techniques peuvent apparaître :
- L’accès à la lésion.
- La réalisation de la cavité.
- Le choix du matériau d’obturation.
- Dans le cas de certaines lésions profondes, la mise en place de la digue n’est pas possible. Souvent, un traitement parodontal est envisagé avant la réalisation de la cavité, dans le cas des caries sous-gingivales. Une élongation coronaire après cicatrisation permet de réaliser la restauration définitive.
- Le choix des biomatériaux (amalgame, composite, verre ionomère) devrait répondre aux impératifs esthétiques, mécaniques et de biocompatibilité.
- Les composites sont souvent utilisés lors d’un préjudice esthétique et d’un besoin de résistance mécanique (crochet prothétique). C’est l’option choisie chez le patient apte à maîtriser l’hygiène, si nous sommes en présence d’un champ opératoire compatible avec les techniques de collage.
- Les verres ionomères présentent des capacités d’adhésion physico-chimiques qui facilitent leur utilisation mais qui présentent des problèmes esthétiques. Ils peuvent être utilisés en association avec des composites. Le relargage de fluor peut inhiber la reprise des caries.
- Dans le cas de certaines caries radiculaires de dents postérieures, l’amalgame peut offrir une solution rapide et peu onéreuse.
Thérapeutiques endodontiques
Quel que soit son âge, tout patient peut recevoir un traitement endodontique. L’approche thérapeutique de ces traitements présente une difficulté du fait de la rétraction du volume pulpaire. La durée des séances doit être bien évaluée pour ne pas incommoder le patient.
Diagnostic
- Chez le patient âgé, les nécroses pulpaires et les lésions endo-parodontales sont les pathologies les plus fréquentes, tandis que la pulpite aiguë est relativement rare.
- Chez ces patients, on assiste à de faux négatifs lors des tests de vitalité.
- Lorsqu’un traitement endodontique est indiqué, les temps opératoires sont les mêmes chez un sujet jeune ou âgé. Mais chez ce dernier, nous rencontrons à chaque étape thérapeutique des difficultés spécifiques de la dent « sénile ».
Isolation du champ opératoire
- La pose de la digue demeure indiquée dans tous les cas, bien que sa mise en place ne semble pas toujours possible chez le patient âgé car la déglutition spontanée sous la digue est problématique et les problèmes respiratoires fréquents.
- Par ailleurs, les caries radiculaires et les délabrements sous-gingivaux nécessitent des reconstitutions préalables.
Cavité d’accès
- Dans la majorité des cas, la difficulté d’accès est liée à la réduction importante du volume de la chambre pulpaire. Du fait du rétrécissement de cette dernière, le risque de lésions du plancher pulpaire est plus grand.
- La forme de la cavité d’accès d’une dent « âgée » est similaire mais plus petite.
- Nous sommes parfois amenés à réaliser l’accès au travers une couronne ou du bord incisif d’une dent antérieure en cas d’attrition.
Exploration instrumentale (cathétérisme)
- Les difficultés endodontiques les plus fréquentes chez le patient âgé sont liées à une ouverture buccale limitée et à l’accès des canaux radiculaires.
- Des pulpolithes se trouvent très souvent dans la chambre pulpaire et les orifices du canal sont souvent obstrués.
- Leur visualisation doit parfois se faire à l’aide d’une loupe lors de l’examen radiographique.
- Les canaux accessoires sont dans la plupart des cas obstrués.
- Il semble qu’une pénétration instrumentale manuelle soit préférable à une pénétration assistée chez la personne âgée.
- L’utilisation des chélateurs, par leur action déminéralisante sur les parois canalaires,milléniumfacilitates the work of the instruments.
- Il est difficile de réaliser des traitements avec une longueur idéale (0-1 mm de la limite radiographique). Le dépôt cémentaire apical aboutit à une augmentation de la longueur radiologique de la dent. Ainsi, l’apex anatomique peut être 2-3 mm coronaire à l’apex radiologique.
Mise en forme du canal et obturation
- La mise en forme du canal nécessite une séquence instrumentale adaptée aux canaux difficiles, fins et plus ou moins calcifiés.
- Pour le patient âgé, il n’existe pas de méthode spécifique.
- Les méthodes conventionnelles (condensation latérale verticale normalisée) sont adaptables aux sujets âgés.
Pronostic
- Les soins d’endodontie chez le sujet âgé sont moins traumatisants et induisent moins de problèmes de bactériémie que les extractions.
- En présence d’un traitement adéquat, le pronostic est amélioré par l’obturation naturelle des canaux latéraux et par le rétrécissement apical qui facilite les obturations radiculaires.
Chirurgie endodontique
- Les indications de la chirurgie endodontique sont les mêmes pour les patients âgés et jeunes.
- Néanmoins, la présence de canaux calcifiés, de perforations et de résorptions radiculaires est plus fréquente.
- Si l’état général du patient le permet, la chirurgie endodontique est indiquée, celle-ci étant moins traumatisante que l’extraction dentaire.
Chez les personnes âgées dépendantes
Chez les personnes âgées dépendantes (celles présentant des pathologies dégénératives comme les démences, par exemple la maladie d’Alzheimer) et les patients médicalisés, la réalisation des soins dentaires est souvent difficile car :
- L’état général du patient nécessite des séances courtes.
- L’ouverture buccale est souvent limitée.
- L’hygiène est défectueuse.
- La coopération est déficiente.
- Les limites de la lésion sont en sous-gingival.
- Absence de champ opératoire.
Dans ce cas, on se contente d’un traitement à minima visant à stopper le processus carieux, et qui consiste à faire :
- Un débridement de la lésion.
- Une obturation immédiate à l’aide d’un ciment verre ionomère. Le relargage de fluorures obtenu avec de tels matériaux confère un effet thérapeutique et préventif à la surface de la racine.
Prévention
Cependant, la prévention s’avère indispensable pour éviter l’apparition de nouvelles pathologies bucco-dentaires. Elle consiste à :
- Éliminer l’agent causal par le contrôle de la plaque bactérienne à l’aide de brossettes, de compresses et de bains de bouche.
- Réduire le métabolisme bactérien par diminution de l’apport glucidique.
- Cette prévention sera assurée par l’entourage familial et/ou paramédical.
Conclusion
Le vieillissement de la population s’accompagne d’une demande accrue de prise en charge en stomatologie. Le praticien est confronté à de nombreux écueils dans son approche des patients âgés (terrain fragile, polymédications, participation aléatoire du patient). Chez ces patients, le risque de sous-médicalisation ou de surmédicalisation est important. L’ensemble de ces considérations incite parfois le praticien à choisir son approche thérapeutique en termes de qualité de vie pour son patient. Pour ce faire, nous insistons sur l’importance du dialogue avec le patient et sa famille.
Adaptations thérapeutiques chez le sujet âgé : Soins conservateurs et endodontiques, Gérodontologie

Dr J Dupont, chirurgien-dentiste spécialisé en implantologie, titulaire d’un DU de l’Université de Paris, offre des soins implantaires personnalisés avec expertise et technologies modernes.