Accidents d’éruption et d’évolution des dents
Accidents d’éruption et d’évolution des dents
La dentition est un processus biologique complexe qui englobe la formation, le développement et l’éruption des dents, aboutissant à leur position fonctionnelle dans la cavité buccale. Ce phénomène, essentiel à la mastication, à la phonation et à l’esthétique, est sujet à divers accidents et anomalies qui peuvent affecter les dents temporaires, permanentes, ou les deux. Ces perturbations, qu’elles soient d’ordre chronologique, topographique ou inflammatoire, nécessitent une compréhension approfondie pour un diagnostic précis et une prise en charge adaptée.
Définition de l’éruption dentaire
L’éruption dentaire désigne le processus par lequel une dent migre depuis son site de développement au sein des maxillaires jusqu’à son émergence dans la cavité buccale. Ce phénomène implique l’effraction des tissus mous (gingivaux ou muqueux) et est régulé par des mécanismes biologiques complexes, notamment par le follicule dentaire, qui orchestre les interactions entre les tissus durs (os alvéolaire, dentine) et mous (desmodonte, gencive). L’éruption est un processus localisé, symétrique et programmé dans le temps, caractérisé par des modifications tissulaires telles que la résorption osseuse, l’apposition d’os alvéolaire, la croissance radiculaire et le développement du ligament parodontal.
Phases de l’éruption dentaire
Le processus d’éruption dentaire se décompose en quatre phases distinctes, chacune jouant un rôle clé dans le positionnement final de la dent.
Phase pré-éruptive
Durant cette phase initiale, le germe dentaire croît au sein du follicule dentaire, en parallèle avec le développement de l’os alvéolaire environnant. Le germe s’éloigne progressivement de l’os basal tout en restant à une distance constante du rebord alvéolaire. Deux types de mouvements caractérisent cette phase :
- Rotation : Le germe effectue des mouvements rotatifs pour s’orienter correctement.
- Mouvement excentrique : Une partie de la couronne s’éloigne de la crypte osseuse, tandis que la partie apicale reste stable.
Le canal gubernaculaire, ou iter dentis, relie la crypte dentaire à la corticale externe et contient le gubernaculum dentis, un cordon fibreux unissant le follicule à la muqueuse gingivale. Ce canal joue un rôle déterminant dans la définition du point d’émergence de la dent.
Phase éruptive préfonctionnelle
Cette phase débute avec la formation de la racine dentaire et se caractérise par un mouvement occlusal (vers le haut). Pour les dents permanentes, la résorption de l’os alvéolaire sous-jacent facilite ce déplacement. L’iter dentis s’élargit, et le gubernaculum dentis devient moins dense et moins vascularisé. La partie supérieure du follicule se transforme en desmodonte, tandis que la partie inférieure soutient la dent en évolution. La dent émerge dans la cavité buccale lorsque environ 75 % de la racine sont formés. À ce stade, la crypte s’est transformée en alvéole dentaire, et l’épithélium adamantin résiduel fusionne avec l’épithélium buccal pour permettre l’émergence.
Phase éruptive fonctionnelle
Cette phase commence lorsque la dent apparaît dans la cavité buccale et devient soumise aux forces masticatoires, ainsi qu’aux pressions exercées par la langue, les joues et les lèvres. L’attache épithéliale se forme, et les apex radiculaires commencent à se fermer. Les mouvements sont principalement axiaux, mais des mouvements de version (inclinaison) et de rotation peuvent également survenir. La dent continue son ascension jusqu’à établir un contact avec les dents antagonistes, marquant la fin de l’éruption active.
Phase d’éruption passive (post-éruptive)
Cette phase concerne les dents fonctionnelles, qui ont atteint leur position occlusale. Elle permet l’adaptation continue de la dent aux changements physiologiques des mâchoires et à la croissance radiculaire. Cette phase se prolonge tout au long de la vie de la dent, tant qu’elle reste fonctionnelle dans la cavité buccale.
Théories explicatives de l’éruption dentaire
Plusieurs théories ont été proposées pour expliquer les mécanismes de l’éruption dentaire. Aucune n’explique à elle seule l’ensemble du processus, mais elles mettent en lumière des facteurs clés.
Traction par le ligament parodontal
Les fibroblastes du ligament parodontal (ou desmodonte) exercent une force de traction qui contribue au déplacement de la dent vers le plan occlusal. Le remodelage constant des fibres du ligament parodontal joue un rôle essentiel dans la phase supra-osseuse de l’éruption.
Pressions vasculaires
La vascularisation abondante du follicule dentaire et des tissus environnants génère une pression locale qui facilite le mouvement éruptif. Une hyperhémie localisée peut accentuer ce phénomène en augmentant la vascularisation du tissu parodontal.
Croissance radiculaire
La formation de la racine augmente la longueur de la dent et exerce une force suffisante pour induire la résorption osseuse autour de la crypte. Cependant, cette force seule ne suffit pas à expliquer l’éruption, car des dents sans racines (par exemple, dans certains cas pathologiques) peuvent également émerger.
Remodelage osseux
La résorption sélective de l’os alvéolaire et la formation de nouvel os autour de la dent permettent son déplacement. Ce mécanisme est particulièrement important lors des phases pré-éruptive et éruptive préfonctionnelle.
Rôle du follicule dentaire
Le follicule dentaire joue un rôle central en régulant l’éruption via des signaux biochimiques entre l’épithélium adamantin réduit et les tissus environnants. Cette interaction constitue une sorte d’« horloge biologique » qui détermine le moment précis de l’éruption.
Chronologie de l’éruption dentaire
La chronologie de l’éruption varie selon qu’il s’agit des dents temporaires ou permanentes. Voici un aperçu détaillé.
Éruption des dents temporaires
Chez 95 % des enfants, l’éruption des dents temporaires débute avec les incisives centrales inférieures. L’ordre habituel est le suivant :
| Dent | Âge d’éruption |
|---|---|
| Incisive centrale inférieure | 6–8 mois |
| Incisive centrale supérieure | 10 mois |
| Incisive latérale supérieure | 12 mois |
| Incisive latérale inférieure | 14 mois |
| Première molaire | 16 mois |
| Canine | 18 mois |
| Deuxième molaire | 20–30 mois |
Une variation de ±2 mois est considérée comme normale. La croissance radiculaire des dents temporaires est généralement achevée entre 3 et 4 ans. La résorption radiculaire physiologique, déclenchée par la poussée des dents permanentes ou par des facteurs comme les caries, conduit à l’exfoliation des dents temporaires.
Éruption des dents permanentes
Les 28 dents permanentes (hors dents de sagesse) émergent entre 6 et 12 ans, suivant l’ordre approximatif suivant :
| Dent | Âge d’éruption |
|---|---|
| Premières molaires | 6 ans |
| Incisives centrales | 7 ans |
| Incisives latérales | 8 ans |
| Premières prémolaires | 9 ans |
| Canines et deuxièmes prémolaires | 11 ans |
| Deuxièmes molaires | 12 ans |
| Troisièmes molaires (dents de sagesse) | 18–25 ans |
Accidents d’éruption dentaire
Les accidents d’éruption sont des perturbations du processus normal d’émergence des dents. Ils constituent un motif fréquent de consultation, notamment chez les jeunes enfants, et peuvent être associés à des manifestations inflammatoires locales ou systémiques.
Syndrome d’éruption (« teething syndrome »)
Ce syndrome, observé principalement lors de l’éruption des dents temporaires, coïncide souvent avec la baisse des anticorps maternels. Les symptômes incluent :
- Érythèmes jugaux : Rougeurs des joues.
- Fièvre modérée : Pouvant durer jusqu’à 48 heures.
- Hypersalivation : Production excessive de salive.
- Tuméfactions gingivales : Gingivites ou gingivo-stomatites inflammatoires.
- Adénopathies régionales : Ganglions lymphatiques enflés.
- Symptômes secondaires : Agitation, diarrhée, insomnie ou érythème fessier.
Dans de rares cas, des complications graves comme des fièvres élevées, des crises convulsives, des troubles respiratoires (bronchites, asthme dentaire) ou des troubles digestifs (vomissements, diarrhée) peuvent survenir, entraînant un risque de déshydratation.
Traitement : Symptomatique, avec des anti-inflammatoires, antipyrétiques et anesthésiques locaux (ex. : Dolodont).
Image : Une photographie clinique montrant une gencive enflammée avec une dent temporaire en cours d’émergence, accompagnée d’un érythème jugal léger.
Kyste de l’éruption
Le kyste de l’éruption se manifeste par une tuméfaction bleutée sur la gencive, généralement 1 à 2 semaines avant l’émergence d’une dent. Il est plus fréquent sur les incisives centrales temporaires maxillaires et les premières molaires permanentes. Son origine est débattue : il pourrait résulter d’une dégénérescence de l’épithélium adamantin réduit ou d’une accumulation de sang autour de la couronne.
Clinique : Voussure bleuâtre de 1–3 cm, ferme ou rénitente. Le diagnostic différentiel inclut l’angiome et le kyste gingival.
Traitement : Surveillance avec abstention ou incision simple pour décongestionner.
Image : Une image macroscopique d’un kyste de l’éruption bleuâtre sur la gencive maxillaire, en regard d’une incisive centrale temporaire.
Péricoronarite
La péricoronarite est une inflammation du sac folliculaire entourant une dent en éruption, souvent les dents de sagesse. Les symptômes incluent :
- Douleur pulsatile près des oreilles, de l’articulation temporo-mandibulaire ou des mâchoires.
- Douleur jugale (irritation de la joue par la couronne).
- Limitation de l’ouverture buccale et difficulté à mastiquer.
Évolution : Généralement favorable en quelques jours avec un traitement symptomatique. Une antibiothérapie peut être nécessaire en cas d’infection. Une cellulite faciale est rare.
Anomalies chronologiques de l’éruption
Éruption prématurée
Une éruption est considérée comme prématurée lorsqu’elle survient avant les âges normaux (1–6 mois pour les dents temporaires, 1 an pour les dents permanentes). Les dents natales (présentes à la naissance) et néonatales (dans les 30 premiers jours) sont des cas rares, principalement observés dans la région incisive mandibulaire. Leur incidence est de 1/2000 à 1/3500 pour les dents natales et de 1/1000 à 1/6000 pour les dents néonatales.
Caractéristiques : Dents rudimentaires, hypermobiles, souvent dysmorphiques et hypoplasiques. Elles peuvent causer des lésions traumatiques (ex. : maladie de Riga-Fede) ou un risque d’inhalation.
Traitement : Extraction si la dent est hypermobile ou cause des lésions.
Éruption retardée
L’éruption retardée est plus fréquente pour les dents permanentes. Elle est définie par un décalage de plus de 6 mois (dents temporaires) ou 1 an (dents permanentes) par rapport à la norme. Les causes incluent :
- Obstacles : Dents surnuméraires, odontomes, gencive fibreuse.
- Infections ou ankylose : De la dent temporaire sus-jacente.
- Pathologies systémiques : Hypothyroïdie, rachitisme, chimiothérapie, syndromes (ex. : dysostose cléido-crânienne).
Retard isolé : Concerne 1 à 2 dents, souvent lié à un obstacle local.
Retard généralisé : Affecte l’ensemble de la denture, souvent lié à des causes systémiques.
Anomalies topographiques de l’éruption
Éruption dystopique ou ectopique
Une éruption dystopique se produit lorsque la dent émerge dans une position anormale, soit dans la même arcade (ex. : éruption linguale des incisives mandibulaires), soit en dehors (ex. : dent intrasinusienne ou intranasale). Les éruptions linguales sont fréquentes à la mandibule et peuvent nécessiter l’extraction de la dent temporaire si celle-ci bloque la dent permanente.
Transposition
La transposition désigne l’inversion de position entre deux dents adjacentes, le plus souvent entre une canine et une première prémolaire maxillaire (71 % des cas).
Anastrophie
L’anastrophie est une anomalie rare où la dent pivote à 180°, la couronne se retrouvant en position apicale. Elle concerne souvent les dents surnuméraires, comme le mésiodens.
Inclusion, rétention et enclavement
- Inclusion dentaire : Dent retenue dans le maxillaire, sans communication avec la cavité buccale, au-delà de la date normale d’éruption.
- Rétention dentaire : Arrêt temporaire ou définitif de l’éruption, avec une ouverture du sac péricoronaire.
- Enclavement dentaire : Dent retenue avec un sac péricoronaire ouvert, bloquée par un obstacle.
Réinclusion
La réinclusion survient lorsqu’une dent, après avoir émergé, s’enfonce à nouveau sous la gencive, souvent en raison d’une ankylose. Le traitement peut inclure une intervention chirurgicale pour rompre l’ankylose et permettre une éruption spontanée.
Conclusion
Les accidents et anomalies de l’éruption dentaire constituent un motif fréquent de consultation, en particulier chez les jeunes enfants. Bien que la majorité des cas soient bénins, une vigilance accrue est nécessaire pour identifier les pathologies graves et éviter des complications telles que l’inclusion dentaire ou les malocclusions. Un dépistage précoce, combiné à une prise en charge adaptée (orthodontique, chirurgicale ou symptomatique), permet de limiter les impacts fonctionnels et esthétiques à long terme. Les professionnels de santé dentaire jouent un rôle clé dans l’éducation des parents et la gestion proactive de ces anomalies.
Accidents d’éruption et d’évolution des dents
Voici une sélection de livres:
- Odontologie conservatrice et endodontie odontologie prothètique de Kazutoyo Yasukawa (2014) Broché
- Concepts cliniques en odontologie conservatrice
- L’endodontie de A à Z: Traitement et retraitement
- Guide clinique d’odontologie
- Guide d’odontologie pédiatrique, 3e édition: La clinique par la preuve
- La photographie en odontologie: Des bases fondamentales à la clinique : objectifs, matériel et conseils pratique
Accidents d’éruption et d’évolution des dents

Dr J Dupont, chirurgien-dentiste spécialisé en implantologie, titulaire d’un DU de l’Université de Paris, offre des soins implantaires personnalisés avec expertise et technologies modernes.

