LES ALLERGIES DE CONTACT EN ODONTOLOGIE

LES ALLERGIES DE CONTACT EN ODONTOLOGIE

LES ALLERGIES DE CONTACT EN ODONTOLOGIE

NTRODUCTION : En odontologie, le médecin dentiste peut être confronté à des patients pensant être allergique sans pour autant qu’un allergologue ait confirmé l’allergie via un interrogatoire, un examen clinique et des tests cutanés ou biologiques. Le praticien devra donc être capable d’identifier les patients à̀ risques pour les orienter vers une consultation d‘allergologie. Il doit également être apte à̀ mettre en œuvre les moyens de prévention et connaitre les conduites à tenir en cas d’urgence. Outre les patients, les allergies touchent également le praticien du fait de son exposition permanente à de nombreux agents sensibilisants et à des produits irritants dans le cadre de son travail. Ces allergènes peuvent avoir un impact sur sa pratique quotidienne (Boudinar, 2019).

1 Rappels sur les allergies

  1. Définitions :

L’allergie est définie par l’Académie européenne d’allergologie et d’immunologie clinique (EAACI) comme étant une réaction d’hypersensibilité initiée par un mécanisme immunologique dirigé par des immunoglobulines (IgE ou IgG) ou des cellules (lymphocytes T) (Mazereeuw-Hautier et coll., 2005).

  1. 4 MANIFESTATIONS DE L’ALLERGIE DANS LA REGION ORO-FACIALE

Les manifestations allergiques de contact dans la région oro-faciale sont associées à des hypersensibilités de type I et IV (Evrad, 2018).

-Les manifestations associées à l’hypersensibilité de type I se traduisent par un œdème de Quincke, des réactions d’urticaire ou des sensations de picotement au sein de la cavité orale et/ou pharyngée. La réaction est en généralement rapide. Elle persiste pendant 1 à 3 jours puis disparaît spontanément (Roche, 2010 ; Evrad, 2018).

-Les symptômes de l’hypersensibilité retardée de la région oro-faciale peuvent se manifester cliniquement par un eczéma, une chéilite, des réactions lichénoïdes, un érythème de la muqueuse buccale, ou encore une dépapillation linguale. Ces lésions sont le plus souvent au contact des structures contenant les allergènes (prothèse supérieure pour le palais, face interne de la joue pour les amalgames). Les patients se plaignent de sensations de brûlure (« burning mouth ») ou picotement de la muqueuse buccale, parfois de sécheresse buccale, voire d’un goût métallique, ou encore de symptômes plus généraux de type céphalée, dyspepsie, asthénie, arthralgie ou myalgie (Fricain et coll., 2017 ; Evrad, 2018).

  1. Urticaire de contact buccal (Kuffer et coll., 2009)

Les caractères cliniques des urticaires cutanés sont globalement conservés sur la demi-muqueuse des lèvres. À l’intérieur de la bouche, le prurit est remplacé par une sensation de brûlure et les éléments dont le relief et l’érythème sont peu marqués se distinguent mal de la muqueuse voisine.

  1. Eczéma de contact des lèvres (Kuffer et coll., 2009 ; Collet et coll., 2010 ; Philippe, 2014) L’eczéma de contact des lèvres se traduit cliniquement par une chéilite aiguë ou chronique. Le mot « chéilite » signifie inflammation des lèvres. Elle prédomine sur la demi-muqueuse des lèvres, débordant souvent en avant, sur le bord cutanéomuqueux et la peau voisine, et parfois latéralement sous forme de perlèche, qui peut exister seule, unilatérale ou bilatérale.

La chéilite aiguë débute par une sensation de prurit, puis apparaît un érythème et un œdème qui tendent à effacer les fins sillons de la demi-muqueuse. Puis elle évolue vers des vésicules minuscules qui se rompent rapidement et laissent des érosions post-vésiculeuses, suintantes et croûteuses (Figure 1).

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Figure 1 : Eczéma de contact aigu des lèvres (source : Kuffer et coll., 2009)

La chéilite chronique, qui peut succéder à la chéilite aiguë ou apparaître d’emblée, est caractérisée par un état érythémato-squameux souvent prurigineux, avec parfois des croûtelles et des fissures de la demi-muqueuse (Figure 2).

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Figure 2 : Eczéma de contact chronique des lèvres (source : Kuffer et coll., 2009)

Il est parfois difficile de distinguer la chéilite d’irritation de l’eczéma de contact des lèvres. La chéilite d’irritation a une cause non allergique, le plus souvent due à un tic de léchage, de succion ou de mordillement, ou à̀ l’application d’un médicament topique agressif ou d’un produit irritant, avec lequel le patch test sera négatif (Figure 3).

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Figure 3 : Chéilite d’irritation (source : Peeters et coll., 2017)

  1. Stomatite allergique de contact (Kuffer et coll., 2009 ; Philippe, 2014)

La stomatite allergique de contact est l’équivalent muqueux de l’eczéma, modèle de l’hypersensibilité retardée à̀ médiation cellulaire par les lymphocytes T spécifiques d’un antigène. La symptomatologie est modifiée par les conditions du milieu buccal avec une vascularisation abondante et par la présence d’une salive qui tendent à diluer ou à évacuer les allergènes rapidement.

Les lésions siègent par ordre de fréquence sur la muqueuse des lèvres, la muqueuse vestibulaire, la face interne des joues, la langue, le plancher buccal, le palais et les gencives. Elles sont caractérisées par un érythème plus ou moins intense et étendu, un œdème souvent discret et une exfoliation de la langue, avec parfois une empreinte dentaire sur les bords latéraux de la langue. Il est très exceptionnel de pouvoir distinguer à̀ l’œil nu les vésicules qui sont minuscules et les érosions qui sont rares et très petites. Les lésions chroniques sont marquées par un aspect granuleux ou papillaire de la surface de la muqueuse. Le prurit est remplacé par des sensations de picotement ou de brûlure qui peuvent être absentes ou au contraire être mises au premier plan par le patient. Ces sensations sont exacerbées lors des repas et surtout par le contact avec l’allergène.

Les stomatites allergiques de contact sont à̀ distinguer des stomatites d’irritation (Figure 14) qui se traduisent par un érythème localisé, plus ou moins étendu, parfois accompagné d’une nécrose épithéliale superficielle ou d’érosions précédées d’un stade de bulles éphémères. Elles suivent habituellement l’application d’un produit caustique ou agressif : résine acrylique autopolymérisante, produits pour empreintes, antiseptiques, tabac à chique, voire même les pastilles de menthe. La pression excessive d’une prothèse adjointe ou une prothèse mal adaptée peuvent concourir à l’apparition des lésions.

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Figure 14 : Stomatite d’irritation (source : Kuffer et coll., 2009)

  1. Réactions lichénoïdes ou lésions orales lichénoïdes

Cliniquement et à̀ l’examen histologique, le lichen plan buccal ne peut pas toujours être différencié d’une lésion lichénoïde buccale. Les lésions lichénoïdes buccales sont induites soit par certains médicaments systémiques tels que les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), les antihypertenseurs, les antidiabétiques, les anticonvulsivants et les immunomodulateurs, soit par la présence de restaurations dentaires métalliques ou non métalliques, telles que le mercure, l’or ou encore les résines composites (Seintou et coll., 2012 ; Meuleman, 2016).

Les lésions lichénoïdes induites par les restaurations sont souvent favorisées par une irritation chronique ou correspondent à̀ une réaction d’hypersensibilité retardée. Dans ce cas, on peut réaliser un patch test, mais cet examen est rarement concluant (Seintou et coll., 2012).

Les lésions se présentent sous la forme de plages blanches et /ou érythémateuses, parfois associées à des érosions ou à des ulcérations (Figure 15). Elles s’accompagnent de douleurs ou d’une sensation de brûlure et de sécheresse buccale (Seintou et coll., 2012).

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Figure 15 : Lésion lichénoïde à proximité d’une restauration à l’amalgame (source : McParland et Warnakulasuriya, 2012)

Le diagnostic des réactions lichénoïdes dues aux restaurations dentaires est évoqué lorsque ces lésions sont unilatérales ou à distribution asymétrique. Elles siègent sur une zone muqueuse à proximité de restaurations causales ou bien en contact intime avec celles-ci. Une fois le diagnostic posé, l’élimination du matériau responsable entraîne le plus souvent la régression des lésions (Seintou et coll., 2012 ; Meuleman, 2016). Certains agents aromatisants comme la cannelle, le menthol, l’eugénol ou la menthe poivrée peuvent aussi provoquer des lésions lichénoïdes (Kuffer et coll., 2009).

  1. Burning Mouth Syndrome (Amsler, 2011 ; Prud’Homme, 2012)

Le Burning Mouth Syndrome ou BMS est une affection qui se manifeste par une sensation de brûlure au niveau de la cavité buccale sans signes cliniques ou biologiques. Cette pathologie peut également être retrouvée dans la littérature sous l’appellation glossodynie ou encore stomatodynie. Une classification, proposée par Lamey et Lamb, classe les stomatodynies en trois groupes, se basant sur les différents types de douleurs ressenties :

  • BMS de type 1 est caractérisé par une sensation de brûlure non présente au réveil, mais qui se développe durant la matinée et progresse durant les heures d’éveil avec un pic d’inconfort dans la soirée. La sensation est présente tous les jours.
  • BMS de type 2 est déterminé par une sensation de brûlure présente au réveil qui sera constante tout au long de la journée et qui empêche souvent l’endormissement. La sensation est présente tous les jours.
  • BMS de type 3 est défini par des douleurs intermittentes et des périodes sans symptomatologie. La présence de douleurs est variable suivant les jours, et ces patients peuvent rapporter des symptomatologies sur des topographies plus inhabituelles, au niveau de la muqueuse jugale ou du plancher buccal.

Certains auteurs associent des hypothèses étiologiques en fonction des types de BMS. Le BMS de type 1 serait plutôt dû à̀ des causes systémiques comme des carences nutritionnelles ou du diabète mais exclut la cause psychiatrique. Le BMS de type 2 serait plutôt dû à̀ des problèmes d’ordre psychiatrique et notamment d’anxiété chronique. Et enfin le BMS de type 3 serait plutôt dû à̀ des allergies.

  1. Les allergies de contact rencontrées chez les patients en odontologie
    1. Le latex : Le caoutchouc est utilisé depuis longtemps pour ses propriétés élastiques, il peut être d’origine naturelle ou synthétique. Le caoutchouc naturel est produit à̀ partir de la sève d’arbres à caoutchouc. Les caoutchoucs synthétiques sont en majorité issus de l’industrie pétrochimique.
      • une hypersensibilité immédiate due à̀ la présence d’IgE spécifiques dirigées contre les protéines de l’Hevea brasiliensi, présentes dans le latex.
      • une hypersensibilité retardée liée aux composés chimiques présents dans les produits au latex tels que les agents de vulcanisation (thiurams, carbamates et benzothiazole), ou certains additifs entrant dans la fabrication du caoutchouc (conservateurs et antioxydants). Elle résulte d’un contact avec la peau ou les muqueuses et survient 24 à 96 heures après l’exposition.
  1. Les amalgames : L’amalgame est utilisé en dentisterie depuis plus de 150 ans en raison de son faible coût, de sa facilité d’application, de sa résistance, de sa durabilité et de son effet

bactériostatique. L’amalgame dentaire est un biomatériau métallique présentant un système métallurgique très complexe. Parmi les constituants de l’amalgame, le mercure est le plus souvent responsable des réactions allergiques, mais les autres métaux constituants l’amalgame peuvent aussi être sensibilisants. Les manifestations allergiques surviennent 24 à 48 heures après la mise en place de la restauration à̀ l’amalgame. Elles concernent davantage la peau que la muqueuse buccale :

  • sur le plan cutané, un eczéma péri-buccal ou facial associé à̀ un œdème ainsi que des lésions à distance au niveau des plis, des bras, des mains, et parfois généralisées peuvent être observés.
  • sur le plan muqueux, une stomatite de contact sous forme blanchâtre, rougeâtre et ulcérative associée à des sensations de brûlure et de sécheresse buccale, ont été décrites
  1. Les alliages métalliques : Un alliage est un mélange de plusieurs éléments dont au moins un métallique. On y retrouve l’or et les éléments de la mine du platine (platine, palladium, iridium, osmium, rhodium, ruthénium).
  1. Les résines : Ce sont des polymères composés de grandes molécules constituées d’unités fondamentales appelées monomères et reliées entre eux par des liaisons covalentes. Elles sont omniprésentes en odontologie, que ce soit en odontologie conservatrice ou en prothèse . Leur utilisation s’est amplifiée depuis ces dernières années. On distingue

-Résines acryliques : ou polyméthyle méthacrylate (PMMA) correspond à des dérivés de l’acide acrylique. Elle se présente sous la forme d’une poudre et d’un liquide qui doivent être parfaitement mélangés.

  • les résines thermo-polymérisables;
  • les résines auto-polymérisables ou chémo-polymérisables
  • Résines composites
  1. Les ciments dentaires : Les ciments solides ou liquides sont utilisés pour les obturations coronaires, les obturations canalaires ou encore les scellements en prothèse conjointe. Ils contiennent de puissants allergènes.
  1. Les matériaux d’empreinte :
  • Les matériaux à empreintes élastiques peuvent être classés en deux familles :
    • les élastomères : sous ce nom, sont regroupés les polysulfures, les silicones et les polyéthers ;
    • les hydrocolloïdes réversibles (agar-agar) et irréversibles (alginate).
  • Les matériaux à empreintes inélastiques sont :
    • les cires, la plupart du temps utilisées pour l’enregistrement des rapports intermaxillaires ;
    • les pâtes thermoplastiques (pâte de Kerr) ;
    • les pâtes à oxyde de zinc-eugenol ;
    • le plâtre.
  1. Les produits d’hygiène orale : les dentifrices et les bains de bouche Les parfums et les arômes représentent la principale source de sensibilisation dans les dentifrices et les bains de bouche tels que :
  • la cannelle (aldéhyde cinnamique)
  • la menthe poivrée et la menthe verte

BIBLIOGRAPHIE

  1. CEDEF (Collège des Enseignants en Dermatologie de France). Tests cutanés allergologiques [Internet]. 2011 Disponible sur : https://lyon-sud.univ

lyon1.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?IDFICHIER=1320  397716258

  1. AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé). Le mercure des amalgames dentaires. Actualisation des connaissances Mise en place d’un réseau d’évaluation pluridisciplinaire Recommandations [Internet]. 200.5Disponible sur : http://www.bastamag.net/IMG/pdf/rapportafssaps2005mercuredentaire.pdf
  2. Amsler E. Allergie et stomatologie. EMC Médecine buccale. 2011 ; 6(4) : 1-13.[Article 28-280-C-10].
  1. Beaufils S, Pierron P, Millet P. L’allergie aux alliages dentaires non précieux: données de la littérature et solutions actuelles. Actual Odontostomatol. 2016 ; (275) : 5.
  2. Boudinar L. Les pathologies professionnelles allergiques du chirurgien- dentiste: analyse bibliographique et enquete chez les chirurgiens-dentistes de France [Thèse d’exercice]. Strasbourg : Université de Strasbourg. Faculté de chirurgie dentaire ; 2019. 81 p.
  3. Mazereeuw-Hautier J, Rancé F, Didier A. Allergie et hypersensibilité. Paris : Elsevier ; 2005. 72 p.
  1. Milgrom  E,  Usatine R,  Tan R,  Spector  S.  Allergie en  pratique.  Paris :  Elsevier Masson ; 2004. 269 p.
  2. Fricain J-C, Bodard A-G, Boisramé S, Cousty S, Lesclous P. Chirurgie orale. Paris : Editions Espace id

; 2017. 534 p.

  1. Milpied-Homsi B. Pathologie allergique de la muqueuse buccale. Rev Fr Allergol Immunol Clin. 2004 ; 44(1) : 76-8.
  2. Milpied-Homsi B. Stomatites et chéilites allergiques de contact. Dans : Pons- Guiraud A. Progrès en dermato-allergologie. Montrouge : John Libbey Eurotext ; 2000. p. 187-195.

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