La prothèse conjointe et parodonte
Introduction
La réussite de toutes restaurations prothétiques fixées est représentée essentiellement par le maintien de la santé parodontale. En effet, ces restaurations sont soumises à des impératifs mécaniques qui ne doivent pas aller à l’encontre des impératifs biologiques.
Évaluation parodontale des dents supports
L’évaluation de l’état parodontal est indispensable au diagnostic et à la réalisation du plan de traitement prothétique. Cette évaluation doit conduire le praticien à déterminer non seulement si le parodonte est sain ou malade, mais aussi s’il est apte à résister à l’agression que représentent la réalisation et la mise en place d’une prothèse conjointe.
Évaluation de l’hygiène et contrôle de la plaque
L’hygiène buccale doit être évaluée lors de l’examen clinique. Toute prothèse fixée sera contre-indiquée s’il s’avère que le degré de l’hygiène est insuffisant. La longévité de toute restauration prothétique et le pronostic à long terme de tout traitement prothétique sont étroitement liés à la qualité de l’hygiène buccale.
Évaluation de la santé du parodonte
Elle se fait au cours de l’examen clinique et de l’examen radiographique.
Évaluation du parodonte superficiel
- Couleur et aspect de surface de la gencive : La gencive revêt un aspect de surface légèrement granité, rose corail, parfois rouge pâle.
- La hauteur de la gencive attachée : Selon Maynard et Wilson, une hauteur suffisante de tissu kératinisé est de 5 mm (zone de sécurité), dont 2 mm de gencive libre et 3 mm de gencive attachée, semble limiter à terme l’incidence des signes d’inflammation et de récession gingivale.
- L’épaisseur de la gencive kératinisée : Concernant l’épaisseur gingivale, le test d’évaluation consiste à placer une sonde parodontale colorée dans le sulcus et à évaluer sa visibilité à travers les tissus. Si la sonde apparaît par transparence, la gencive est considérée comme fine. Inversement, la non-visibilité de la sonde fait considérer la gencive comme épaisse.
- L’examen du sillon gingivo-dentaire : L’appréciation de la profondeur du sulcus est indispensable pour déterminer la situation future de la limite dento-prothétique. Elle se fait à l’aide d’une sonde parodontale. Le sulcus ne doit pas excéder 3 mm, limite maximale susceptible d’être maintenue par un contrôle de plaque bien réalisé.
Évaluation de l’espace biologique
L’espace biologique, décrit pour la première fois par Garguilo et Wintez en 1961, est constitué par la zone d’attache des tissus gingivaux à la surface radiculaire (attache épithélio-conjonctive). Cette zone joue le rôle de sertissage hermétique permettant d’isoler le parodonte sous-jacent aseptique du milieu buccal septique. Sa hauteur moyenne est de 2 mm.
Toute atteinte de cet espace initie une réponse inflammatoire qui se traduit par une résorption osseuse, pouvant être à l’origine de la formation d’une poche parodontale ou d’une récession gingivale. Ainsi, l’élongation coronaire constitue l’intervention préalable qui permet de résoudre ce problème.
L’évaluation de l’espace biologique se fait grâce au sondage et à la radiographie : la sonde mesure le sillon gingivo-dentaire et la radiographie permet de situer la crête osseuse.
Évaluation du parodonte profond
L’examen de l’os alvéolaire se fait grâce à un bilan radiographique. Ce dernier confirme une anomalie détectée en bouche. Un certain nombre d’éléments doivent être observés :
- La hauteur du tissu alvéolaire doit être située à 1 ou 1,5 mm apicalement à la jonction amélo-cémentaire.
- La corticale ou la lamina dura doit être continue.
- La largeur de l’espace ligamentaire doit se situer entre 0,2 et 0,5 mm.
- L’intégrité de la racine.
- La continuité du cément et la santé du périapex.
- Pour les molaires et les premières prémolaires maxillaires, déterminer la hauteur du tronc radiculaire : plus le tronc radiculaire est haut, moins le risque de mise à nu de l’espace inter-radiculaire est important.
Le bilan parodontal
À l’issue de l’examen parodontal, trois situations peuvent être définies :
Situation parodontale d’emblée positive :
- Un sulcus peu profond (0,5 à 1 mm).
- Un épithélium jonctionnel résistant au sondage.
- Une gencive attachée épaisse possédant une hauteur suffisante (supérieure à 3 mm).
- Elle correspond à un parodonte épais et peu festonné où toute restauration prothétique ne semble pas compromettre la stabilité parodontale.
Situation d’emblée négative :
- Un sulcus profond (au moins 2 mm).
- Une gencive adhérente très fine.
- Une gencive attachée de très faible hauteur ou absente.
- Pour ce type de parodonte, toute restauration prothétique nécessitera une préparation parodontale pré-prothétique ainsi que l’adoption de certaines précautions au cours des différents temps prothétiques.
Situation intermédiaire :
- Un sulcus de profondeur modérée (1 à 1,5 mm).
- Un épithélium jonctionnel résistant au sondage.
- Une gencive attachée de hauteur limitée (inférieure à 3 mm) et fine.
- Ce type de parodonte doit bénéficier de manœuvres délicates et peu traumatisantes au cours de l’élaboration prothétique car il risque d’entraîner des récessions. Il est judicieux de faire une préparation parodontale pré-prothétique afin de recréer un environnement parodontal plus favorable.
Étiopathogénie des parodontopathies liées à la prothèse conjointe
Les parodontopathies sont des affections qui atteignent l’ensemble des tissus de soutien des dents. Le facteur déclenchant est représenté essentiellement par la plaque bactérienne.
La présence d’un élément prothétique fixé est un facteur aggravant de la maladie parodontale. Il peut générer dans la zone cervicale la triade irritante :
- Le surplomb : Qui retient la plaque bactérienne et est responsable de processus inflammatoires. Ces surplombs peuvent exister sur les bords des prothèses élaborés sur une ligne de finition mal définie ou non respectée.
- Les jonctions ouvertes : Résultent d’un ajustage défectueux ou d’une mise en place imparfaite au scellement ou au collage. Dans ces conditions, le matériau de fixation se trouve en contact direct avec le milieu buccal, où il est plus ou moins dégradé ou dissous et acquiert un état de surface propice à l’accumulation de plaque.
- Les surfaces rugueuses : Proviennent d’un matériau prothétique présentant des altérations de surface liées à une coulée défectueuse, à un défaut d’élaboration ou à un polissage insuffisant.
Justification du traitement parodontal avant l’élaboration d’une prothèse fixée
Si l’examen clinique permet de déceler une parodontopathie, la prothèse ne peut être réalisée avant le traitement du parodonte, pour les raisons suivantes :
- Les restaurations prothétiques deviennent destructrices lorsqu’elles sont superposées sur une parodontopathie préexistante et diminuent la longévité des dents et des prothèses.
- La mobilité dentaire entrave la mastication et la rétention des prothèses.
- L’inflammation et la dégénérescence du parodonte peuvent empêcher les dents piliers de faire face aux exigences fonctionnelles des prothèses.
- Des prothèses construites sur des modèles issus d’empreintes de gencive malade ne s’adapteront pas convenablement après traitement parodontal, ce qui laissera des espaces sous les pontics (accumulation de plaque et inflammation) suite à la contraction gingivale et à la mal-adaptation de la prothèse au pourtour cervical des préparations.
- Même si le parodonte est sain, il peut exister des défauts qui empêchent d’obtenir un résultat prothétique satisfaisant. Ces défauts doivent être corrigés avant la mise en place de la prothèse fixée. Ces corrections peuvent inclure :
- Élongation coronaire.
- Freinectomie.
- Recouvrement des récessions.
- Augmentation de la gencive attachée.
- Alignement du feston gingival.
- Traitement des crêtes édentées par addition ou soustraction des tissus.
Incidences de la réalisation des prothèses fixées sur le parodonte et les précautions à prendre
Lors de la réalisation de la prothèse conjointe, toutes les étapes prothétiques peuvent être la source d’agressions plus ou moins importantes et plus ou moins réversibles vis-à-vis des tissus pulpaires et parodontaux, entraînant un risque de non-intégration biologique des prothèses, et ainsi un échec thérapeutique.
Lors de la réalisation de la préparation dentaire
La stabilité parodontale de la dent pilier est en relation directe avec la limite cervicale de la préparation, qui peut avoir différentes formes et situations.
Formes des limites cervicales
Différentes formes de limites cervicales ont été proposées, chacune présentant des avantages et des inconvénients. Quelle que soit la forme choisie, elle doit assurer la continuité de la limite et sa lisibilité au laboratoire, ce qui permet d’optimiser la précision du joint dento-prothétique. Deux formes permettent d’atteindre ces objectifs :
- Le congé : Indiqué pour les restaurations métalliques et céramo-métalliques.
- L’épaulement à angle interne arrondi : Réservé surtout pour les restaurations en céramiques.
Situation des limites cervicales
Le choix de la situation de la limite cervicale est délicat et dépend essentiellement du but fixé pour obtenir le meilleur résultat d’ensemble final. Ce choix dépend :
- Du respect de l’intégrité tissulaire et de la vitalité pulpaire.
- De la rétention.
- Du respect du parodonte.
- De l’hygiène et du maintien du résultat dans le temps.
- De l’esthétique et de l’aspect du visage du patient.
- De la facilité de réalisation.
D’un point de vue parodontal, la meilleure localisation des limites cervicales est supra-gingivale. Cette limite présente l’avantage de faciliter la réalisation prothétique et de diminuer l’agression parodontale. Elle est indiquée dans les secteurs postérieurs où les impératifs esthétiques sont moins exigeants, en présence de piliers de hauteur suffisante, et dans les secteurs antérieurs sur des dents non colorées, en présence de restaurations à base de matériaux biocompatibles et mimétiques (colles et céramiques). À l’inverse, les limites juxta-gingivales ou intra-sulculaires sont une nécessité pour répondre aux impératifs prophylactiques, mécaniques et surtout esthétiques. Ces limites intra-sulculaires ne doivent pas empiéter sur l’espace biologique. Ainsi, il convient d’éviter la partie apicale du sulcus pour ne pas risquer de léser l’attache épithéliale. Seule la partie coronaire de ce sillon est exploitable. Pour cette raison, il ne faut pas placer les limites cervicales à plus de 0,5 à 0,7 mm dans le sulcus, limite toujours accessible lors des manœuvres d’hygiène. Le maintien de la limite cervicale dans une position correcte s’avère difficile, même pour des mains expertes. Pour cela, il est nécessaire de prendre quelques précautions :
- Réalisation des préparations d’abord avec des limites supra-gingivales.
- Mise en place d’un fil de rétraction fin dans le sulcus et finition des limites cervicales intra-sulculaires par la suite.
Le respect de ces précautions permet une déflexion de la gencive et une préparation des limites sous contrôle visuel, ce qui minimise toute agression des tissus marginaux.
Lors de la prise d’empreinte
Les techniques d’empreinte peuvent constituer un facteur d’agression directe sur le parodonte. Les défauts liés à ces techniques peuvent avoir des répercussions néfastes sur l’équilibre parodontal. Ainsi, le choix de ces techniques ne peut être dissocié de la réflexion parodontale.
Si la limite cervicale supra-gingivale n’a pas d’incidence particulière sur le choix de la technique d’empreinte, les limites intra-sulculaires et juxta-gingivales, par contre, exigent l’ouverture préalable du sulcus à l’aide de différentes techniques de rétraction gingivale pour pouvoir enregistrer la ligne de finition.
Les techniques d’éviction gingivale sont potentiellement dangereuses pour le parodonte, mais les méthodes chirurgicales présentent les plus grands risques de dommages, souvent irréversibles, comparées aux techniques chimio-mécaniques qui réduisent les risques de dommages irréversibles et permettent de respecter au maximum l’intégrité parodontale.
La technique de choix consiste à faire appel à une déflexion par deux cordonnets : le premier fil non imprégné est laissé au fond du sulcus lors de l’empreinte, alors que le second imprégné est retiré juste avant.
L’apparition de l’Expasyl®, une pâte de consistance épaisse injectée dans le sulcus, permet d’assurer une déflexion latérale de la gencive marginale associée à un effet hémostatique, ce qui facilite la prise d’empreinte avec un minimum de risques pour l’attache épithéliale, particulièrement en cas de parodonte fin.
Les techniques d’empreinte les plus utilisées en prothèse fixée sont :
- La technique wash : Une méthode compressive qui permet l’enregistrement des limites fortement sous-gingivales. Elle est indiquée en présence de parodonte favorable.
- La technique du double mélange : Une technique moins compressive, moins traumatisante pour le parodonte, qui permet d’enregistrer des limites cervicales en situation sous-gingivale normale (0,3-0,4 mm).
Lors de l’élaboration des prothèses fixées transitoires
La prothèse provisoire doit obéir aux mêmes exigences que la prothèse fixée définitive malgré sa présence temporaire en bouche. Son adaptation doit être correcte pour ne pas induire une inflammation et être à l’origine d’une agression parodontale.
La prothèse provisoire doit permettre d’obtenir un joint cervical net et précis avec des embrasures suffisamment ouvertes, des points de contacts corrects et des formes de contours correctes et bien polies. Vis-à-vis du parodonte, la prothèse provisoire va assurer plusieurs rôles :
- Maintenir la gencive marginale dans une position physiologique après la préparation.
- Faciliter la cicatrisation des tissus parodontaux autour des dents préparées.
- Améliorer et faciliter les conditions de l’empreinte.
- Anticiper sur la forme et la morphologie de la prothèse définitive.
Il est impératif d’assurer une bonne adaptation de la prothèse provisoire pour préserver la santé parodontale. Pour cela :
- Il est recommandé d’adapter les prothèses provisoires tout en assurant un maximum de protection du système d’attache par la mise en place dans le sulcus d’un fil de rétraction qui ne sera enlevé qu’après le scellement provisoire.
- La polymérisation de la résine doit se faire sur la préparation. Cependant, il faut lutter contre les effets néfastes de la réaction exothermique de la prise sur le parodonte par l’isolation de la préparation et le refroidissement de la résine pendant sa prise.
Lors de l’assemblage de l’élément prothétique et la préparation dentaire
Le scellement définitif doit assurer le respect de deux impératifs vis-à-vis du parodonte :
- Obtenir le joint de scellement le plus fin et le plus étanche possible.
- Ne pas laisser de débris de ciments dans le sulcus.
Le choix du ciment de scellement doit être bien réfléchi, car la majorité des ciments de scellement ne sont pas neutres du point de vue parodontal.
- Les ciments au phosphate de zinc : Permettent d’avoir un film très mince qui ne favorise pas l’accumulation de la plaque bactérienne, mais leurs qualités mécaniques sont vulnérables, ce qui peut avoir des conséquences sur la stabilité parodontale.
- Les ciments aux polycarboxylates : Se caractérisent par leur biocompatibilité, leur capacité d’adhésion et leur faible solubilité. On leur reproche de faibles propriétés mécaniques, précipitant ainsi leur détérioration.
- Les ciments verres ionomères : Sont plus performants sur le plan mécanique, leur étanchéité est meilleure, leur pouvoir d’adhésion est important ainsi que leur biocompatibilité, mais leur utilisation se heurte à une solubilité importante en présence d’humidité.
Conclusion
Lors d’une restauration prothétique fixée, l’objectif le plus difficile à atteindre est, sans doute, le maintien de la stabilité parodontale. Il n’y a que l’évaluation parodontale correcte et le respect de l’intégrité parodontale lors des différents temps prothétiques qui peuvent assurer la pérennité du traitement prothétique.
Voici une sélection de livres en français sur les prothèses dentaires:
- Prothèse Amovible Partielle : Clinique et Laboratoire
Collège National des Enseignants en Prothèses Odontologiques (CNEPO), Michel Ruquet, Bruno Tavernier - Traitements Prothétiques et Implantaires de l’Édenté Total 2.0
- Conception et Réalisation des Châssis en Prothèse Amovible Partielle
- Prothèses supra-implantaires: Données et conceptions actuelles
- Prothèse complète: Clinique et laboratoire Broché – Illustré, 12 octobre 2017
- Prothèse fixée, 2e Ed.: Approche clinique Relié – Illustré, 4 janvier 2024
La prothèse conjointe et parodonte

Dr J Dupont, chirurgien-dentiste spécialisé en implantologie, titulaire d’un DU de l’Université de Paris, offre des soins implantaires personnalisés avec expertise et technologies modernes.

