Les lésions dentaires iatrogènes
I. Définition des lésions dentaires iatrogènes
« Iatrogène » est un terme médical qui qualifie une pathologie causée par un traitement ou un acte médical. En odontologie, les lésions iatrogènes sont des lésions de la dent et des structures associées au système dentaire, provoquées involontairement par le chirurgien-dentiste. Ces lésions sont dues aux agressions physico-chimiques et mécaniques consécutives aux traitements restaurateurs et endodontiques.
Les effets directs des résultantes opératoires varient considérablement en fonction de la qualité et de l’état évolutif des structures auxquelles ils sont appliqués. Ainsi, il est utile de connaître certains faits élémentaires qui conditionnent le pronostic pulpaire, parmi lesquels :
La perméabilité dentinaire
L’épaisseur de dentine résiduelle, qui subsiste entre le fond de la cavité et la pulpe, exprime de manière chiffrée la proximité pulpaire.
- Si cette mesure égale ou dépasse 1,5 mm, la dentine constitue en principe une barrière de protection suffisante.
- À partir de 0,5 mm, la minceur de la dentine résiduelle atteint un seuil critique, permettant, entre autres risques, le passage des irritants dans la pulpe.
La perméabilité dentinaire peut varier en raison de facteurs consécutifs aux préparations cavitaires ainsi qu’à la nature du soluté mis en contact avec la dentine.
Les préparations cavitaires
Les préparations cavitaires induisent :
- La formation d’un enduit visqueux : composé de débris micro-cristallins mélangés à la salive et aux bactéries, appelé boue dentinaire. Cet enduit constitue un véritable bouchon qui diminue fortement la perméabilité et s’oppose aux procédés d’adhésion dentinaire.
- La formation de dentine réactionnelle : cette réponse pulpo-dentinaire est extrêmement variée, tant dans sa localisation que dans sa structure.
II. Les agents agresseurs du complexe pulpo-dentinaire
Au cours des divers procédés de dentisterie, le praticien peut, parfois de manière inévitable, engendrer un certain nombre de traumatismes au niveau du complexe pulpo-dentinaire. Ces agressions sont occasionnées aussi bien lors des procédés opératoires qu’au cours de l’obturation. Elles sont souvent multifactorielles et peuvent être dissociées en stimuli physiques, chimiques et bactériens.
1. Les agressions physiques
Les agressions physiques sont, pour la plupart, transmises à travers la dentine. On distingue :
a. L’agression mécanique
L’agression mécanique peut être produite par les vibrations d’instruments rotatifs en contact avec les parois dentinaires. Ces vibrations, en altérant la couche odontoblastique, augmentent de manière transitoire la perméabilité de la dentine et la filtration vers l’extérieur du fluide.
Que ce soit le meulage ou le fraisage, lorsque celui-ci intéresse la dentine, il crée une blessure au niveau du complexe pulpo-dentinaire, comparable à une incision cutanée. Ceci aura un retentissement particulier sur la pulpe, provoquant une inflammation traumatique allant de petits dommages réversibles à des lésions irréparables (nécrose).
b. L’agression thermique
L’agression thermique est classiquement provoquée par la friction de l’instrumentation sur la paroi dentinaire. Ce contact, s’il n’est pas accompagné de refroidissement, provoque un échauffement du tissu et une évaporation du fluide en surface. Les tubuli vidés font appel au fluide du compartiment pulpaire, qui migre en surface avant d’être à nouveau évaporé.
L’installation de lésions irréversibles est admise dès que la température locale dépasse 46°C. De plus, le fraisage sans refroidissement provoque des brûlures de la dentine et des élévations de température intrapulpaire qui peuvent conduire à des lésions irréversibles. Ce seuil critique est atteint après 25 secondes de fraisage à sec.
c. L’agression hydraulique ou déshydratation des cavités
Cette agression revêt plusieurs formes et se transmet par le mouvement du fluide contenu dans les tubuli. Toute situation provoquant une augmentation de la pression intra-tubulaire en périphérie, comme le scellement d’une couronne, entraîne un mouvement liquidien vers la pulpe. Ce mouvement est d’autant plus important et rapide que la dentine est perméable. Une exposition au jet d’air d’une minute, par exemple, peut suffire à éliminer plusieurs fois le volume de la chambre pulpaire.
2. Les agressions chimiques
Les agressions chimiques progressent par la dentine. La diffusion dans les tubules diminue la concentration des substances qui diffusent vers la pulpe. Cette dilution est fonction de l’épaisseur de la couche de dentine.
3. Les agressions microbiennes
En raison de leur complexité d’assemblage, la tête des turbines et des contre-angles, ainsi que l’huile anti-corrosion, sont des facteurs de rétention des agents microbiens, sources de contamination lors du fraisage. Par ailleurs, lors du fonctionnement, la friction des pièces mobiles les unes contre les autres permet le transport mécanique des fluides infectés (sang, salive, eau) à l’intérieur de la cavité, entraînant une inoculation septique.
4. Autres agressions
Stanley et Swerdlow ont montré que l’intensité de la réaction pulpaire s’accroît à mesure que la distance entre la cavité et la pulpe diminue, et ce, dans des conditions expérimentales variées. Les tissus durs constituent une protection mécanique, thermique et chimique. Plus la résection dentinaire est profonde ou étendue, plus il y a formation de dentine réactionnelle fibreuse anarchique et de calcifications, s’accompagnant d’une rétraction pulpaire et d’un vieillissement prématuré de la pulpe.
Par ailleurs, le curetage d’une carie trop profonde peut occasionner une exposition pulpaire accidentelle. Cela peut également se produire lors de la finition d’une cavité profonde, à l’occasion du dérapage d’un instrument rotatif ou manuel tranchant, ou encore en raison d’une variation anatomique, telle qu’une corne pulpaire saillante.
V. Réactions du complexe pulpo-dentinaire aux thérapeutiques
En dentisterie, toute action thérapeutique au niveau de la dentine se répercute sur la pulpe. Les réactions pulpo-dentinaires sont variables, car plusieurs facteurs entrent en jeu, allant de l’hyperhémie pulpaire réversible à un état inflammatoire irréversible, voire une nécrose pulpaire.
Un fraisage atraumatique avec des instruments rotatifs, lors de la préparation de cavités ou des préparations périphériques, produit des vibrations, des pressions et de la chaleur, exerçant des effets délétères sur les odontoblastes et la santé pulpaire. La gravité de ces effets dépend du degré d’échauffement de la dentine et de la pulpe, ainsi que de l’intensité des mouvements liquidiens intradentinaires.
Les lésions induites par le fraisage s’expliquent par les mouvements hydrodynamiques au sein des canalicules, dans les deux sens, sous forme de flux entrant et de flux sortant. La chaleur générée par la friction des fraises mal irriguées provoque d’abord un flux entrant, puis une perte d’eau par évaporation, induisant un flux sortant.
VI. Formes cliniques des lésions iatrogènes
Sensibilités postopératoires
Après la mise en place d’une restauration, les sensibilités postopératoires diminuent en quelques jours ou semaines pour disparaître complètement. Le remarginage des bords de la restauration et leur scellement par une résine fluide de recouvrement constituent une solution palliative simple à mettre en œuvre, qui peut s’avérer très efficace pour réduire l’inconfort du patient.
Micro-infiltrations et lésions carieuses secondaires
Les lésions carieuses qui se développent après la mise en place des restaurations doivent être considérées comme des lésions iatrogènes. La détérioration marginale des restaurations s’accentue avec le temps, laissant place au développement bactérien dans le hiatus ainsi créé. Les récidives de caries peuvent être traitées en réalisant une réfection partielle de la restauration, si le défaut carieux est accessible. Elles nécessitent souvent la dépose complète de la restauration et son remplacement.
Fractures des restaurations
Les fractures intervenant dans la masse du matériau de restauration sont la deuxième cause de remplacement des restaurations directes et indirectes, après les récidives de caries et avant les déficiences marginales. Ces fractures peuvent résulter d’accidents de la mastication, mais elles sont le plus souvent liées à des défauts de conception induisant une moindre résistance mécanique.
Nécroses pulpaires et complications
Une nécrose de la pulpe peut se produire sous des restaurations inadéquates qui laissent des zones de dentine exposées non protégées et présentant un joint de mauvaise qualité, à l’origine d’infiltrations bactériennes. Un traitement canalaire est alors indiqué. Les nécroses s’observent surtout sous des restaurations volumineuses et profondes ou sous des couronnes, en raison de l’importance des surfaces dentinaires exposées par les préparations périphériques. En ce qui concerne les restaurations par composites, l’absence de protection pulpaire conventionnelle (hydroxyde de calcium) n’est pas responsable des complications pulpaires, y compris dans les cavités profondes où un adhésif auto-mordançant a été utilisé.
Exposition pulpaire iatrogène
Les expositions pulpaires iatrogènes consistent en la dénudation accidentelle de la pulpe par les instruments rotatifs ou manuels d’excavation et de fraisage, lors de l’exérèse carieuse et/ou lors de la préparation cavitaire ou périphérique.
Fausses routes et perforations
Il s’agit de délabrements iatrogènes traversant la structure minéralisée coronaire et/ou radiculaire. Les perforations sont des erreurs de procédures résultant conjointement d’une méconnaissance de l’anatomie, d’une mauvaise appréciation de la situation locale et d’une utilisation inappropriée de l’instrumentation rotative. Les perforations iatrogéniques font partie des complications des procédures endodontiques et conduisent encore trop souvent à l’extraction de la dent.
Prévention des expositions pulpaires iatrogènes
La prévention des expositions pulpaires iatrogènes et de leurs complications passe par :
- Une bonne connaissance des épaisseurs des tissus dentaires coronaires.
- Une évaluation radiographique préalable de la profondeur de la cavité et de ses rapports avec le plafond pulpaire.
- Un contrôle visuel et tactile des zones dentinaires altérées ou saines lors du fraisage.
- La non-élimination de la dentine cariée supra-pulpaire dans les lésions profondes.
- L’application des principes d’économie tissulaire lors de préparations cavitaires adhésives.
- Le travail sous digue, qui permet, en cas d’exposition pulpaire, d’éviter la contamination de la pulpe par la salive.
- La mise en place immédiate d’une restauration définitive protégeant la zone dentino-pulpaire recouverte par le coiffage des infiltrations bactériennes.
Conclusion
Les lésions iatrogènes ne doivent pas être considérées comme un problème mineur de l’odontologie conservatrice et endodontique (OCE). Les pratiques iatrogéniques provoquent des lésions dentaires avec des répercussions immédiates sur la santé pulpaire et parodontale, contribuant à long terme aux déficiences fonctionnelles de ces structures. Elles ont également une incidence directe sur les résultats des restaurations en altérant leur durée et leur efficacité, tout en favorisant les récidives.
La prévention des pathologies iatrogènes doit être une préoccupation constante du praticien, tant dans sa démarche thérapeutique que dans ses comportements d’opérateur. La précision clinique, au service d’une approche biologique et plus préventive de l’odontologie conservatrice et restauratrice, permet pour l’essentiel d’éviter ces lésions iatrogènes.
Voici une sélection de livres:
- Odontologie conservatrice et endodontie odontologie prothètique de Kazutoyo Yasukawa (2014) Broché
- Concepts cliniques en odontologie conservatrice
- L’endodontie de A à Z: Traitement et retraitement
- Guide clinique d’odontologie
- Guide d’odontologie pédiatrique, 3e édition: La clinique par la preuve
- La photographie en odontologie: Des bases fondamentales à la clinique : objectifs, matériel et conseils pratique
Les lésions dentaires iatrogènes
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Dr J Dupont, chirurgien-dentiste spécialisé en implantologie, titulaire d’un DU de l’Université de Paris, offre des soins implantaires personnalisés avec expertise et technologies modernes.