Orthodontie et Dysfonctionnement de l'Appareil Manducateur / ODF

Orthodontie et Dysfonctionnement de l’Appareil Manducateur / ODF

Orthodontie et Dysfonctionnement de l’Appareil Manducateur / ODF

Introduction

L’équilibre du système manducateur est le centre d’intérêt de toutes les spécialités dentaires. Il est efficace grâce à la mobilité de la mandibule, assurée par le jeu des muscles et des articulations temporo-mandibulaires. Il s’agit donc d’un fonctionnement cranio-mandibulaire. Une perturbation de l’un des éléments de ce système conduit à son mauvais fonctionnement ou à une dysfonction cranio-mandibulaire. L’existence préalable ou la survenue de symptômes de DAM au cours d’un traitement orthodontique sont des sujets de préoccupation importants pour les orthodontistes.

Objectifs du cours

  • Identifier le dysfonctionnement de l’appareil manducateur ou DAM.
  • Adopter la démarche thérapeutique orthodontique indiquée face à un dysfonctionnement cranio-mandibulaire.

1. Rappel Anatomique et Physiologique de l’Appareil Manducateur

1.1. Anatomie de l’Appareil Manducateur

L’appareil manducateur est l’ensemble fonctionnel constitué de :

1.1.1. L’Articulation Temporo-Mandibulaire

C’est une double articulation condylienne de type diarthrose comprenant :

  • Les surfaces articulaires : les condyles temporaux et mandibulaires.
  • Les moyens d’union : la capsule articulaire.
  • Les moyens de glissement : le disque, la synoviale, le système ligamentaire.

1.1.2. Le Système Musculaire

Les muscles sont classés selon leur rôle principal en muscles élévateurs et abaisseurs :

  • Les élévateurs : muscle temporal, masséter, ptérygoïdien médial, ptérygoïdien latéral.
  • Les abaisseurs : muscles sus-hyoïdiens et sous-hyoïdiens.

1.1.3. La Vascularisation et l’Innervation

Elle se fait principalement par l’artère carotide externe et le système neurosensoriel complexe : des récepteurs sensoriels périphériques, des centres nerveux et le trijumeau (V).

1.1.4. Les Maxillaires

Ils déterminent le système occlusal.

1.2. Physiologie de l’Appareil Manducateur

Les articulations temporo-mandibulaires (ATM) possèdent la possibilité d’exécuter deux types de mouvements élémentaires : rotation et translation, réalisés simultanément (mouvement composé) ou non, pour assurer les mouvements fondamentaux (ouverture, fermeture, propulsion, rétropulsion et diduction) et fonctionnels (mastication, déglutition, phonation, etc.).

2. Définition

Un dysfonctionnement est l’expression de perturbations des activités fonctionnelles pouvant conduire à des comportements adaptatifs. Les dysfonctions cranio-mandibulaires (DCM), aussi appelées dysfonctionnements de l’appareil manducateur (DAM) ou algies et dysfonctionnements de l’appareil manducateur (ADAM), sont définies comme des myo-arthropathies de l’appareil manducateur. Elles englobent des anomalies anatomiques, histologiques et fonctionnelles des systèmes musculaire et/ou articulaire, qui s’accompagnent de signes cliniques et de symptômes variés. On parle de DAM musculaire ou articulaire.

3. Fréquence des DAM

Les études épidémiologiques indiquent que les DAM se manifestent principalement au cours de la tranche d’âge 15-45 ans. Ils sont également retrouvés chez les enfants, dès l’âge de quatre ans, avec un pourcentage très variable de 4 à 35 %, mais leur prévalence et leur gravité augmentent avec l’âge pour atteindre une prévalence de 50 % chez les adolescents (selon Köhler et al.), même en l’absence de traitement orthodontique. Cette prévalence augmente au cours de la période 10-19 ans. Une autre caractéristique épidémiologique est une prévalence plus élevée chez les filles que chez les garçons.

4. Étiologies des DAM

Plusieurs facteurs ont été incriminés pour tenter d’expliquer l’étiologie multifactorielle des DAM :

  • Facteurs occlusaux : contacts prématurés, interférences, perte des dents non compensée, migrations dentaires secondaires.
  • Facteurs posturaux : troubles de la posture corporelle (asymétrie, inclinaison du bassin, différence de longueur des jambes, posture céphalique antérieure, scolioses).
  • Facteurs psycho-sociaux : stress, anxiété, dépression, dont l’importance dans l’évolution des DAM est largement reconnue.
  • Facteurs traumatiques : regroupés en macro-traumatismes (traumatismes directs de la face, entorse cervicale, ouverture buccale forcée et prolongée) et micro-traumatismes (parafonctions).
  • Facteurs systémiques : arthrite rhumatoïde, hyperlaxité ligamentaire, certaines maladies auto-immunes (lupus érythémateux, sclérodermie, etc.).

5. Diagnostic des DAM

5.1. Les Éléments du Diagnostic

L’orthodontiste peut dépister et établir le diagnostic d’un DAM à partir d’un examen clinique et d’examens complémentaires précis :

5.1.1. L’Anamnèse

  • Les antécédents.
  • La situation économique et le profil psychologique (anxiété, stress, etc.).
  • Identifier les facteurs de risque des DAM.
  • Préciser la nature des symptômes.
  • La douleur : son intensité, sa qualité, sa durée, sa fréquence, la date et les circonstances d’apparition.

5.1.2. Examen Clinique

Il se déroule en trois grandes étapes : examen musculaire, articulaire et dento-occlusal.

Examen Musculaire :
Il s’effectue par palpation bilatérale avec l’index et le pouce, de façon douce mais ferme, de l’ensemble des muscles masticateurs. Les muscles concernés sont le temporal et le masséter. L’objectif est de rechercher des signes d’hypertrophie, de tension et/ou de douleur.

Examen Articulaire :
Son objectif est de mettre en évidence les douleurs, les bruits articulaires et les altérations de la cinématique mandibulaire.

  • Douleurs et bruits articulaires :
    La palpation et l’auscultation se font avec les index en bouche ouverte et fermée, en intra- ou extra-auriculaire, et à la hauteur des pôles latéraux, pour rechercher d’éventuels bruits et douleurs.
    D’autres tests, comme le test du bâtonnet (ou test de Krogh-Poulsen), consistent à faire mordre le patient sur un enfonce-couronne, un bâtonnet de bois, un coton salivaire ou tout autre objet servant de cale, au niveau des secondes molaires mandibulaires. Cela entraîne une décompression de l’articulation du côté de la cale et une compression de l’autre côté :
    • Si la cale est positionnée du côté sensible et déclenche une douleur homolatérale : évocation d’une pathologie musculaire.
    • Si la cale est positionnée du côté sensible et diminue la douleur homolatérale : évocation d’une participation articulaire.
    • Si la cale est positionnée du côté sensible et provoque une douleur controlatérale : évocation d’une pathologie articulaire controlatérale.
  • La cinématique mandibulaire :
    Cet examen permet d’apprécier le synchronisme du déplacement du complexe condylo-discal lors des mouvements mandibulaires. Il concerne :
    • Les mouvements d’ouverture et de fermeture, avec l’appréciation de l’amplitude maximale d’ouverture et du trajet (qui doit être rectiligne). Une déviation signe une luxation discale réductible, une déflexion une luxation discale irréductible.
    • Les mouvements de latéralité et de propulsion.

Examen Dento-Occlusal :

  • Mesure du surplomb, du recouvrement, et détection d’une béance antérieure, d’un recouvrement excessif, etc.
  • Noter les dents absentes ou remplacées, les atteintes parodontales.
  • Examiner la stabilité de l’occlusion d’intercuspidie maximale (OIM), le différentiel entre l’occlusion de relation centrée (ORC) et l’OIM, la présence d’interférences non travaillantes.
  • Noter les usures dentaires (physiologiques, mécaniques ou chimiques). Les usures mécaniques à deux corps (attrition) sont souvent liées à un bruxisme d’éveil ou de sommeil.

5.1.3. Examens Complémentaires ou Para-Cliniques

  • Panoramique.
  • Tomodensitométrie ou scanner.
  • Imagerie par résonance magnétique (IRM) : met en évidence la position du disque et confirme ou infirme sa luxation.
  • Axiographie.

5.2. Les Symptômes et les Signes Cliniques

5.2.1. Bruits Articulaires

Crépitations, craquements et claquements.

5.2.2. Douleurs

  • Douleur musculaire (myalgie) : diffuse, irradiante (oreille, œil, front, cou), non particulièrement centrée sur l’ATM. Épisodique au début, elle devient plus persistante et continue avec le temps.
  • Douleur articulaire (arthralgie) : centrée sur l’articulation, même si des irradiations sont présentes. Plus vive et lancinante que les douleurs musculaires, elle peut faire penser à une otite, amenant le patient à consulter un ORL en première intention.

5.2.3. Anomalies de la Cinématique Mandibulaire (Dyskinésies)

Limitation, exagération, déviation, déflexion.

5.2.4. Autres Manifestations

Manifestations auriculaires, oculaires, céphalées de tension d’origine musculaire, manifestations neurovégétatives.

5.3. Formes Cliniques

Inspirées de l’Académie Américaine des Douleurs Oro-Faciales (AAOP) :

Dysfonctionnement MusculaireDysfonctionnement Articulaire
– Douleurs (myalgies)1. Dysfonctionnement du complexe condylo-discal : avec ou sans réduction
– Sensations de fatigue2. Limitation et/ou déviation de l’ouverture buccale
– Sensation de tension localisée au niveau des muscles masticateurs, parfois étendue à un territoire cervico-céphalique3. Bruits articulaires
4. Incompatibilité des surfaces articulaires
5. Inflammation : capsulite, synovite, rétrodiscite
6. Maladie dégénérative : arthrose

Tableau I : Les formes cliniques du DAM

6. Traitement des DAM

La prise en charge thérapeutique du DAM est pluridisciplinaire :

  • Médicamenteux : analgésiques, anti-inflammatoires, antidépresseurs, anxiolytiques, sédatifs myorelaxants pour atténuer voire supprimer la douleur.
  • Psycho-comportementale : rassurer, expliquer, conseiller, exercices de relaxation, psychothérapie.
  • Physiothérapie : procédés hyperhémiants, anesthésiants ou anti-inflammatoires obtenus à partir de la chaleur.
  • Gouttières occlusales : gouttière de reconditionnement neuromusculaire, gouttière de repositionnement mandibulaire.
  • Traitement des troubles occlusaux : équilibration occlusale (par addition ou soustraction), suppression des contacts prématurés, interférences, correction des malocclusions, remplacement prothétique.
  • Prise en charge chirurgicale : indiquée dans les cas où toutes les thérapeutiques conservatrices ont échoué et où la situation est handicapante pour le patient.

7. Orthodontie et DAM

7.1. Rôle des Anomalies Orthodontiques dans la Genèse des DAM

Bien qu’il n’existe pas de preuves scientifiques démontrant une relation directe entre les troubles de l’occlusion et les DAM, certaines situations occlusales sont fréquemment rencontrées chez les patients présentant des DAM :

Troubles OcclusauxFormes Cliniques du DAM
Béance antérieure squelettiqueArthrose, myalgie
Surplomb incisif horizontal supérieur à 7 mmArthrose
Différence entre ORC-OIM supérieure à 2 mmArthrose
Occlusion croisée unilatérale d’une première molaire maxillaireDésunion condylo-discale

Tableau II : Troubles occlusaux en rapport avec certaines formes des DAM
(D’après Pullinger et Seligman)

7.2. Rôle des Traitements Orthodontiques dans l’Apparition des DAM

Les études épidémiologiques ont montré qu’il n’y a pas de différence concernant la prévalence des DAM entre les sujets ayant subi un traitement orthodontique (avec ou sans extractions) et ceux n’ayant pas eu de traitement orthodontique.

7.3. L’Apport de l’Orthodontie dans les Traitements des Dysfonctions Cranio-Mandibulaires

Malgré le rôle limité des malocclusions dans l’étiologie des DAM, le traitement et la prévention des DAM passent par des traitements occlusaux de qualité. Les traitements orthodontiques ne traitent pas directement les DAM, mais ils permettent essentiellement :

  • De stabiliser une position mandibulo-crânienne thérapeutique déterminée par l’occlusodontiste ou fixée par le chirurgien dans les cas de pathologie intra-articulaire.
  • Un ajustement occlusal évitant ou limitant les procédés par soustraction de l’organe dentaire, tels que le meulage ou les éléments prothétiques.

7.4. L’Orthodontie Face au DAM

Les DAM présents avant ou diagnostiqués au cours du traitement confrontent l’orthodontiste à un triple objectif :

  • Répondre à la plainte algique.
  • Mettre en œuvre une prise en charge adaptée du trouble fonctionnel.
  • Moduler son traitement orthodontique en fonction de la symptomatologie et de l’apparition d’éventuelles modifications structurelles.

7.4.1. Présence du DAM Avant le Traitement Orthodontique

  • Avant d’entreprendre le traitement orthodontique, il est impératif de pratiquer un examen de dépistage. Si le patient présente des signes ou symptômes en faveur d’un DAM, il faut s’assurer de l’intégrité des structures articulaires en demandant une IRM des ATM.
  • La prise en charge thérapeutique est conservatrice, la priorité étant donnée au traitement du DAM.
  • Après rémission des signes, le traitement orthodontique peut être envisagé, mais adapté au DAM et aux besoins du patient.

7.4.2. Survenue d’un DAM au Cours du Traitement Orthodontique

  • Entreprendre une investigation méticuleuse pour établir un diagnostic différentiel.
  • Par prudence, rendre l’appareillage momentanément passif. Le patient cesse de porter les auxiliaires de traitement (force extra-orale, élastiques intermaxillaires).
  • Mettre en place une gouttière occlusale.
  • Après sédation des algies et des troubles neuromusculaires, reprendre prudemment le traitement orthodontique.
  • S’il existe des troubles articulaires (luxation discale), un traitement spécifique est recommandé.

7.4.3. Survenue d’un DAM Après le Traitement Orthodontique

  • Il n’existe pas de preuve scientifique de l’implication des traitements orthodontiques dans l’apparition des DAM.
  • La prise en charge du patient sera multidisciplinaire dès l’apparition des signes et symptômes.
  • L’orthodontiste rassure le patient et explique que le traitement orthodontique n’est pas en cause.

Conclusion

  • L’orthodontiste peut être confronté à des DCM avant, pendant et après le traitement.
  • Bien qu’aucun lien de cause à effet n’ait été établi entre le traitement orthodontique et les DCM, l’orthodontiste doit être occlusoconscient et occluso-vigilant.
  • Les traitements orthodontiques bien conduits contribueront à optimiser la structure dentosquelettique et à la préparer à supporter les surcharges qui pourraient la solliciter.

Bibliographie

  1. Alain Decker et al. ; Rôle de l’orthopédie dento-faciale dans la genèse, le traitement et la prévention des dysfonctions cranio-mandibulaires ; Revue d’Orthopédie Dento-Faciale n° 27, 1993.

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  La santé bucco-dentaire est essentielle pour le bien-être général, nécessitant une formation rigoureuse et continue des dentistes. Les étudiants en médecine dentaire doivent maîtriser l’anatomie dentaire et les techniques de diagnostic pour exceller. Les praticiens doivent adopter les nouvelles technologies, comme la radiographie numérique, pour améliorer la précision des soins. La prévention, via l’éducation à l’hygiène buccale, reste la pierre angulaire de la pratique dentaire moderne. Les étudiants doivent se familiariser avec la gestion des urgences dentaires, comme les abcès ou les fractures dentaires. La collaboration interdisciplinaire avec d’autres professionnels de santé optimise la prise en charge des patients complexes. La santé bucco-dentaire est essentielle pour le bien-être général, nécessitant une formation rigoureuse et continue des dentistes.  

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